• Étoile d’Espérance : 26 ans d’engagement, de combat et d’espoir
  • Arrêté après l’agression d’un taximan : Iscoty Cledy Malbrook avoue cinq autres cas de vol
  • Golf : un tournoi caritatif au MGC
  • Le groupe PLL : il était une fois un tube nommé… «Maya L’Abeille»
  • Nilesh Mangrabala, 16 ans, septième victime de l’incendie du kanwar à Arsenal - Un rescapé : «Se enn insidan ki pou toultan grave dan nou leker»
  • Hippisme – Ouverture de la grande piste : les Sewdyal font bonne impression
  • Sept kendokas en formation à la Réunion
  • Plusieurs noyades et disparitions en mer : des familles entre chagrin et espoir
  • Mobilisation du 1er Mai : la dernière ligne droite avant le grand rendez-vous
  • Le PMSD secoué : démissions, rumeurs et confusion…

Rue d’Entrecasteaux : De poussières et d’impatience

Une rue en chantier, ce n’est jamais évident pour les habitants.

Des mois de travaux et les habitants d’une rue de Port-Louis trouvent le temps long et s’inquiètent pour l’avenir…
 

Tout est parti d’un coup de fil. À l’autre bout de la ligne, une personne avec une histoire, une envie de dénoncer, un besoin de réponses. Et en ce jeudi 20 septembre, nous voilà dans la voiture d’un inconnu qui ne souhaite pas dévoiler son identité, pour un «tour» de son quartier. Pendant les prochaines minutes, ce ne sera pas la description des places of interest des lieux. Quoique, en un coup d’œil, on a remarqué le marchand delo koko, la pâtisserie et un snack. Mais il s’agit de la visite de tout ce qui ne va pas dans cette rue mythique de Port-Louis, pris dans les travaux depuis le mois de janvier. En cette fin de matinée, c’est plutôt calme. Un seul travailleur s’échine sur un bout de trottoir. Seules les voitures occupent l’espace. Il y en a beaucoup. C’est vrai que depuis quelques années, la rue d’Entrecasteaux (celle qui se trouve derrière les Casernes) est très utilisée.

 

Dans une heure et des poussières (c’est le cas de le dire), elle s’offrira un répit. Reprendra son rythme d’avant, on y verra passer une ou deux voitures et quelques motos. Mais pour l’heure, le ballet de l’asphalte est assourdissant. Celui des reproches aussi (les autorités donnent leur version et appellent à la patience en hors-texte). Les chantiers se suivent et se ressemblent dans certains coins de l’île (Port-Louis, Rose-Hill, Beau-Bassin…). Ils sont teintés de l’incompréhension et de la frustration de ceux qui les vivent de près. Il y a ces travaux qui durent et qui donnent l’impression d’avoir été abandonnés, confie notre monsieur mystère, habitant des lieux depuis sa naissance. Mais aussi ces «choses mal faites» ; les trottoirs non-complétés (et problématiques) qui exigent des aménagements pour les garages et les portails, la gestion de l’eau (qui descend de la montagne et qui vient des rues adjacentes qui n’ont pas de canalisation) qui «ne trouvera plus son chemin» au vu des récents aménagements, le non-asphaltage de la route, le temps de la résolution des problèmes – «vous imaginez que sa menol-la ti kase pandan 5-6 mwa ?»

 

«Secret man»

 

Le 30 mars 2013, dans cette rue, poursuit notre interlocuteur, il n’y a pas eu d’inondation : «C’est parce que l’eau avait trouvé son chemin vers les canaux. Maintenant, tout est barricadé, l’eau qui sort d’une cour n’arrive même pas aux drains.» C’est vrai qu’il avait parlé de problèmes de trottoir, le secret man. D’ailleurs, pour se rendre chez un habitant de la même rue, il faut sauter du trottoir (et d’assez haut !). Il ne veut pas, lui non plus, nous faire part de son identité «atansion gagn problem» mais s’étonne du problème qui est le sien : «Avant, ce trottoir était au niveau de la maison. Maintenant, il est bien plus haut. On ne peut même plus faire entrer la voiture. Il faut la laisser sur le chemin.» Une petite «montagne» de macadam lui permet de pénétrer chez lui sans s’abîmer les genoux. Mais cette solution temporaire, qui ne convient pas de toute façon, a assez duré : «S’il faut commencer par dire, zame pou fini.»

 

Patricia Samputh, qui habite Tranquebar, vient travailler dans cette rue, tous les jours, comme employée de maison. La poussière, c’est son ennemi principal. Les trottoirs aussi : «Je suis tombée la dernière fois.» Dust in the wind, quoi. Celle des travaux incomplets qui s’envole à chaque passage de voiture a, visiblement, emprisonné les langues. Par contre, sous le couvert de l’anonymat, les mots s’échappent. «On peut accepter tout ça pour le bien de Maurice, pour tous les Mauriciens. Mais il y a des limites», confie un autre habitant de la rue. Les questions sont soulevées par les commerçants : où les clients gareront leur voiture ? Pour l’instant, les véhicules squattent les nouveaux trottoirs. «Comment vont faire nos habitués ? Biznes pou mor», lance un commerçant. Christian Lee, qui bosse dans une baz manze sans nom, se demande «ki pou arive» : «Pa kone, sirma pou ferme», répond-il.

 

Pour Ashley Muruga, croisé à l’heure du déjeuner, se garer sur son lieu de travail est devenu problématique ces derniers temps : «Les trottoirs sont trop hauts, la voiture ne rentre pas.» Reste que la rue d’Entrecasteaux, qui pendant des années était kas kariol, a l’air un peu moins abîmée, un peu plus dan lord. Les autorités demandent, eux, un peu de patience…

 


 

«Un peu de patience»

 

Surprise ! C’est la réaction du représentant de l’autorité concernée par les travaux lorsque nous lui avons fait part des doléances des habitants : «Les travaux sont presque complétés. Avant ça, la route était dans un sale état, elle était étroite, il n’y avait pas de drains ou de trottoirs : nous nous sommes occupés de tout ça. Nous demandons aux habitants d’avoir un peu de patience. Nou pa pou kit nou travay nou pou ale.» Il y a des finitions et des fine tunings à faire mais tout cela est prévu, assure notre interlocuteur. Pour cela, il faut attendre qu’un autre chantier soit bien avancé pour y penser : «Nous n’allons pas réparer puis recasser. Nous avons une vue d’ensemble de la situation.» Il assure être à l’écoute des habitants et explique que les travaux à d’Entrecasteaux font partie du projet Decaen dont le but principal est de décongestionner l’entrée de la capitale. D’ici deux mois, assure-t-il, les travaux seront de l’histoire ancienne.

 

Un chemin à double voie ? C’est la crainte des habitants de la rue. Mais on rassure : «Le chemin fonctionnera comme avant. Les habitants n’ont pas de souci à se faire.»

 


 

Ah-Moy Rostom, la mémoire du quartier

 

 

89 ans et un humour bien grinçant. Des histoires d’avant et des conversations actuelles. Ah-Moy Rostom, c’est le soleil de cette fin de matinée. Quelques minutes plus tôt, elle respirait au rythme de son inhalateur. Une séance quotidienne depuis le début des travaux. La poussière s’infiltre dans la maison et elle s’est découverte allergique, ayant des difficultés à respirer. Alors, son fils a dû investir dans une machine pour lui soulager les journées. «Sa lapousier-la pe touy nou. Kan zot pou fini ranz sa ?» lance-t-elle. Ça fait plus de 50 ans qu’elle habite dans cette rue. Il a fallu un «coup de vent» – on comprend cyclone – pour qu’elle débarque ici.

 

Sa première maison, qui se trouvait également à Port-Louis, «inn kraze» : «Je n’ai pu récupérer que les moletons et les casseroles.» À d’Entrecasteaux, elle habite une maison en bois, aide son mari qui avait une tabagie et élève ses trois enfants. La vie n’est pas facile, il y a des malheurs, des chagrins, des moments difficiles, mais Ah-Moy a cette lueur en elle qui la fait avancer. Elle se souvient de cette route bordée de maisons en bois, des familles bien habillées, des pie raket (des arbustes qui piquent), des espaces verts, des pelouses bien entretenues.

 

À l’époque, c’était «enn la ri fere», c’est-à-dire, si on la comprend bien, non-asphaltée. Dans ses souvenirs les plus précieux, elle se rappelle des soirées dehors. Là où, assise sur le perron en roche, elle prenait l’air : «Avec mon mari, on comptait les étoiles et on admirait les étoiles filantes. Les gens passaient et nous discutions avec eux.» La nostalgie de ces instants lui étreint, certainement, le cœur. Mais très vite, Ah-Moy revient avec son humour grinçant, parle de petits plats et de cette poussière qui n’en finit pas…