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Résolution adoptée à l’ONU : Dans le cœur des Chagossiennes…

 Sir Anerood Jugnauth a su convaincre lors de son discours.

La victoire de Maurice donne une lueur d’espoir à ces femmes. Néanmoins, elles s’emballent avec précaution et préfèrent parler de leur île perdue.

Chagos. Un mot, deux syllabes. Et son cœur bat un peu plus vite. Des connexions intimes se font de son âme à son cerveau. Et un tourbillon d’émotions (en vrac : du manque, de la tristesse, de la joie, de l’espoir, de la colère) humidifie un peu ses yeux.  Il suffit de lui parler de son île perdue pour que son visage s’illumine. Comme les néons qu’elle allume pour nous montrer les fresques de son paradis. Des instantanés de son monde d’avant, immortalisés à coups de pinceaux sur tous les murs de sa varangue ouverte à Roche-Bois. Des couleurs douces et chaudes, une vue sur l’ailleurs qui réchauffe tout son être : «Mo asize, mo gete, mo fer vizion.» Rosemonde Berthin veut tout montrer, tout partager. Une partie d’elle n’a jamais vraiment quitté Salomon. Alors, si elle pouvait y retourner avec ses dix enfants (qui sont grands maintenant et qui veulent la suivre), elle n’hésiterait pas : «Mo ale deswit.»

 

Maudea Sawmynaden souhaite fleurir la tombe de son père.

 

Les braises de ce nouvel espoir ont été attisées le jeudi 22 juin. C’est ce jour-là que sir Anerood Jugnauth a défendu la résolution présentée par Maurice, concernant les Chagos, devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU). Après un vote (94 voix en faveur, 15 voix contre et 65 abstentions), il a été décidé qu’un avis consultatif pouvait être demandé à la Cour internationale de Justice (CIJ) sur le statut de cet archipel. Cette victoire que nombreux qualifient «d’historique» n’est qu’un premier pas dans une bataille qui s’annonce ardue entre l’État mauricien et la Grande-Bretagne (voir hors-texte).

 

Sable fin

 

Que Maurice puisse retrouver sa souveraineté sur les Chagos, c’est la possibilité de pouvoir rentrer «à la maison». Rosemonde, comme les autres Chagossiennes qui sont nées sur l’archipel et à qui nous avons parlées, veut y croire. Néanmoins, au fil des années, nombreux sont ces espoirs qui ont été déçus. Alors, ce n’est pas encore l’embrasement. Juste un vœu de plus. Comme celui que Rosemonde nous partage en nous montrant son trésor, une bouteille remplie du sable tellement fin de son île : «Zot pu fann sa lor mwa kan mo pu mor.» 

 

Liseby Elysée raconte ses souvenirs.

 

À quelques kilomètres de là, à Baie-du-Tombeau, Liseby Elysée profite des dernières lueurs du jour sur la terrasse avec sa fille Anessa. Elle a aussi ramené, sur ses murs, un peu de son île. Pour ne jamais oublier : «Zis nu ki konn nu lapenn.» Et rien ne s’efface. Le dernier regard sur Peros, son cœur qui se brise, la longue traversée, la colère sur le bateau, les promesses jamais tenues à Maurice. La misère. Les insultes : «On nous traitait de zilwa sovaz Les années à tras trase pour élever les six enfants. Cette île Maurice, qu’il faut aimer, malgré tout. Comme dans un mariage arrangé. Mais avec le cœur qui bat toujours pour les Chagos : «Mo espere reviv laba avan ki mo mor.» Sa fille, elle, n’a pas le même rêve : «J’irai pour voir où ma mère est née. Mais moi, je suis Mauricienne, ma vie est ici.» Et Liseby qui raconte, le sourire dans la voix, pour la convaincre : «Kan to pu truv laba, to pu anvi reste.»

 

Noella Gaspar, son compagnon, Jean-Sylvain, son fils, Yannick, et son petit-fils, Raphaël.

 

Il n’y a pas que la douleur sourde du déracinement. Le vague à l’âme de pousser trop loin de ses racines. Il y a aussi des rires, des souvenirs. Alors, Liseby parle du matouftwa, pâtisserie au coco des Chagos, du riz qu’on cuit dans des feuilles, de l’entraide et du partage. Et à quelques mètres de là, ces mots résonnent chez Maudea Sawmynaden. Elle a quitté Peros alors qu’elle venait d’avoir 24 ans et qu’elle avait un bébé de 11 mois dans les bras. Elle se rappelle de la peur et du désespoir ce jour-là : «Je savais que c’était fini, qu’on ne pouvait plus rien dire quand j’ai vu qu’ils tuaient nos chiens devant nous.» Elle a laissé derrière elle son père enterré dans une terre où elle veut mourir elle aussi : «Je veux fleurir sa tombe et je ne le peux pas.» 

 

Laurencia Pauline aimerait voir l’île de sa mère.

 

À Cassis, Noella Gaspard, qui a quitté Diego à 9 ans, parle de la douleur de sa mère et de son frère décédés, qui ont pleuré jusqu’au bout leur coin de paradis : «Zot pann gagn sa sans retourn laba la.» Son compagnon, Jean-Sylvain Orian, un Mauricien, n’hésiterait pas à la suivre dans son île aimée où elle veut absolument rentrer : «Nous ne pouvons pas être entiers loin de chez nous.» Son fils Jordan, 16 ans, aussi. Par contre, Yannick, 31 ans, se contenterait d’une petite visite. Et son petit-fils Raphaël hésite encore.

 

Rosemonde Berthin est «ready to go».

 

À Pointe-aux-Sables, Laurencia Pauline aimerait bien aller aux Chagos, une fois. Pour voir où sa mère est née : «Mais pas pour y vivre.» Découvrir cette île dont le manque a fait si longtemps pleurer sa maman, maintenant décédée. Poser ses yeux sur les merveilles racontées. Et sentir son cœur battre, à l’unisson, avec celle qui lui manque tant.

 


 

Shafick Osman, docteur en géopolitique et chercheur associé à la Florida International University : «L’histoire retiendra que c’est SAJ qui a mené ce combat»

 

Le vote en faveur de Maurice aux Nations unies est une «victoire historique». Qu’est-ce que cela représente pour nous ?

 

C’est historique et au crédit de sir Anerood qui y a cru et qui est allé jusqu’au bout, de façon très intelligente, en prenant à bras-le-corps Olivier Bancoult avec lui. Il y a quelques années, personne n’aurait cru à cette démarche et à ce vote en faveur de Maurice. Même Paul Bérenger avait des réserves sur sa stratégie. Ce vote démontre la crédibilité de Maurice sur le plan international et la confirmation de sa place au sein de l’Afrique. 

 

SAJ s’est montré très déterminé sur le dossier Chagos… 

 

Il nous a surpris avec sa volonté et sa détermination à mener ce combat jusqu’au bout. Alors que, historiquement, c’est Paul Bérenger qui menait cette bataille sur le plan médiatique, aujourd’hui, l’histoire retiendra que c’est SAJ qui a mené ce combat au front et remporté cette première victoire. 

 

65 pays se sont abstenus à l’heure du vote. Parmi, la France, l’Italie et la Chine. Est-ce mauvais signe ? 

 

Le plus étonnant, pour moi, c’est la Chine car ce pays avait de meilleures dispositions envers la résolution mauricienne. Que s’est-il passé depuis ? Est-ce que les récents renforcements ostensibles des relations entre l’Inde et Maurice ont refroidi l’ardeur chinoise ? Il faudra analyser cela plus profondément. Quant à la France, il n’est pas étonnant qu’elle ne soutienne pas la cause mauricienne car nous avons un important contentieux sur Tromelin. 

 

Lindsey Collen de Lalit : «Un grand pas»

 

Leur combat pour la cause chagossienne remonte à plusieurs années. Le déracinement des Chagossiens de leurs terres et la construction d’une base militaire sur Diego Garcia ont toujours fait partie des batailles menées par Lalit qui a mis sur pied le comité Diego. Alors qu’ils organisaient l’année dernière une conférence internationale sur les Chagos et relançaient le projet A ship to Chagos, cette résolution adoptée aux Nations unies, estime Lindsey Collen, est une avancée considérable : «C’est un jour historique. Cette résolution démontre l’importance de la décolonisation. C’est un grand pas pour nous.»

 

What next ? 

 

On l’a compris. Le vote de la résolution à l’ONU concernant les Chagos n’est qu’une étape dans un long combat. Mais quel est le next move du gouvernement mauricien ? Pour l’instant, attendre. Patienter que l’ONU fasse une requête à la Cour internationale de Justice (CIJ) et que cette dernière accepte de review l’affaire (si elle estime qu’elle relève de sa compétence). Ce n’est qu’ensuite qu’elle donnera son opinion. Néanmoins, selon Shafick Osman, cette opinion ne sera pas contraignante : «Le Royaume-Uni, en cas de victoire de Maurice à la CIJ, ne sera même pas obligé de suivre l’opinion de la Cour mais sur le plan international, ce sera une honte terrible.» Le réel combat se mènera, donc, sur le plan politique : «Maurice et ses alliés pourront faire pression dans les instances internationales pour que le Royaume-Uni respecte l’opinion de la CIJ, si jamais, elle est en faveur de Maurice.»

 

Réactions 

 

Pravind Jugnauth, Premier ministre : «Un combat pour la République de l’île Maurice»

 

«Bravo à sir Anerood Jugnauth qui a abattu un gros travail. Je félicite aussi tous ceux qui étaient impliqués dans cette lutte. Nous aurions souhaité ne pas aller jusque là-bas pour la reconnaissance de notre souveraineté. C’est avant tout un combat pour la République de Maurice et les Chagossiens.» 

 

Olivier Bancoult, Leader du Groupe Réfugiés Chagos : «Plus que jamais déterminé»

 

«Le 22 juin restera un jour historique. Nous avons franchi une étape importante. Nous ne pouvons plus continuer à subir injustice et humiliation de la part des Britanniques. C’est une grande honte pour les Anglais et les Américains. Aujourd’hui, le peuple chagossien est plus que jamais déterminé.»

 

Xavier-Luc Duval, Leader de l’opposition  : «Soutien unanime de l’opposition»

 

«Le gouvernement a bénéficié du soutien unanime de l’opposition. Il nous faut remercier tous les pays qui ont voté en faveur de Maurice. Je regrette que nous n’ayons pas obtenu deux tiers des votes. Mais ça reste une belle victoire sur l’Angleterre et les États-Unis.» 

 

Paul Bérenger, Leader du MMM : «Un message fort»

 

«C’est un grand moment mais nous aurions dû chercher à avoir plus de 94 votes. Notre lobbying était insuffisant. 22 pays européens se sont abstenus. C’est un message fort lancé à la Grande-Bretagne. Cependant, il est triste de voir que la Chine n’a pas voté pour.»

 

Shakeel Mohamed, Chef de file du PTr  : «Je félicite sir Anerood Jugnauth»

«Je suis fier de la victoire de Maurice. Je félicite sir Anerood Jugnauth, toute l’équipe et le peuple chagossien. Aujourd’hui, il reste deux étapes à franchir. Il nous faut attendre l’avis de la Cour internationale de Justice.»

 

Alan Ganoo, Leader du Mouvement patriotique :  «C’est cette solidarité qu’il faut»

 

«C’est une nouvelle que j’accueille avec beaucoup de joie et de fierté malgré la déception de voir les pays qui se sont abstenus. Je salue sir Anerood Jugnauth et Olivier Bancoult pour le combat qu’ils ont mené. C’est cette solidarité qu’il faut au sein des partis politiques et dans le pays.»

 

Textes : Yvonne Stephen-Lavictoire et Amy Kamanay-Murday