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Propos à relent communal : Showkutally Soodhun chute, le gouvernement secoué

Showkutally Soodhun siégera au Parlement comme député.

Après plusieurs jours de crise suivant la vidéo qui montre l’ex-no 4 du gouvernement en train de lancer des propos condamnables contre une section de la population, l’apaisement se fait sentir suite à la démission officielle de Showkutally Soodhun. Cependant, ce scandale ne sera pas sans conséquence pour l’Alliance Lepep. Le gouvernement pourrait-il se relever après ce nouveau coup dur ? Réponse…

Il y a d’abord eu le choc. L’indignation. La colère. Celle de toute une population, décidée à ne pas se taire face à des propos incendiaires et extrêmement dangereux, pouvant porter atteinte à l’harmonie et la paix sociale dans le pays. Des paroles à connotation communale, qui ont été rendues publiques le mercredi 8 novembre et qui résonnent encore dans la tête de nombreux Mauriciens qui ont à cœur l’intérêt et la préservation du tissu social du pays.

 

Depuis, les Mauriciens ont crié, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la rue, leur révolte et leur dégoût, réclamant la démission immédiate du ministre. Une décision du Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui s’est fait attendre mais qui est finalement tombée dans la soirée du vendredi 10 novembre. Si dans un premier temps, il est annoncé que Showkutally Soodhun quitte ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre du Logement et des terres en attendant les conclusions de l’enquête initiée sur cette affaire, celui-ci finira par envoyer une lettre de démission officielle à la présidence dans l’après-midi d’hier, samedi 11 novembre. Une nouvelle qui a soulagé et calmé la population.

 

Cependant, pour Pravind Jugnauth et son équipe, la sérénité est loin d’être au rendez-vous, même si certains ministres continueront à marteler, à qui veut bien l’entendre, que ce nouveau scandale ne déstabilise en rien le gouvernement. Quoi qu’il en soit, cet énième dérapage de Showkutally Soodhun met une fois de plus l’Alliance Lepep dans de beaux draps et les répercussions sont réelles. 

 

Pour Faizal Jeerooburkhan de Think Mauritius, ce qui s’est passé démontre, une nouvelle fois, la surpolitisation des institutions et «la médiocrité» de certains politiciens qui mettent à mal l’image du gouvernement et du pays. Pour cet observateur politique, il est clair qu’un ministre n’avait rien à faire dans cette réunion. «Ce n’était pas son rôle d’aller dire qui aura une maison ou pas. Il y a des institutions pour ça, avec des policy decisionset des règles. Bien sûr, il doit avoir un droit de regard et s’assurer que la politique du logement soit respectée.» Il ajoute que, même si Pravind Jugnauth a fini par prendre une décision, son leadership est mis à rude épreuve. «Il hésite trop avant de trancher. Ce n’est pas la première gaffe de Soodhun et à chaque fois, on l’a protégé. Un vrai leader doit pouvoir agir vite que cela lui fasse mal ou pas.»

 

Un «boulet»

 

Pour le Dr Catherine Boudet, politologue, la démission de Showkutally Soodhun est une note positive car le gouvernement se débarrasse du coup d’un «boulet». Selon elle, Pravind Jugnauth envoie, du même  coup, un signal fort aux autres ministres, démontrant qu’il ne veut plus tolérer les écarts de comportement. Face au mécontentement de l’opinion publique, le PM n’avait, de toute façon, assure-t-elle, pas d’autre choix que d’agir. Si avec sa décision de faire partir l’ex-no 4 du gouvernement, il arrive à se positionner comme un leader qui écoute et prend en compte l’opinion de ses concitoyens, ce n’est, toutefois, pas suffisant. 

 

«Même si son attitude montre une volonté de moralisation de la vie politique qui peut contribuer à le faire croître en stature et en leadership, ce n’est pas lui qui a eu le leadde la situation. Il paie les pots cassés du laxisme de son père qui a trop fermé les yeux sur les dérives de Soodhun.» Deux ministres qui prennent la porte en deux mois, ce n’est pas anodin. «Le départ de Soodhun, en raison de son profil extrêmement clientéliste, change la donne au niveau des équilibres communautaires dans la répartition du pouvoir et des bastions politiques ou des réservoirs de vote. Cela obligera donc le Premier ministre à certains réalignements politiques. Mais rien qui soit ingérable dans l’immédiat puisque cela ne change pas l’équilibre en termes de sièges parlementaires.»

 

Jocelyn Chan Low ne partage, pour sa part, pas tout à fait le même avis. Une fois encore, c’est la capacité de diriger du PM qui est remise en question. Même si en poussant Showkutally Soodhun à se retirer, Pravind Jugnauth montre qu’il n’est pas un «faiblard». Cependant, le ministre n’aurait pas dû, lance l’observateur politique, rester une seconde de plus à son poste après l’éclatement de ce nouveau scandale. Le fait que la décision de Pravind Jugnauth n’arrive que vendredi démontre qu’il a agi sous pression. «Maintenant, il va devoir faire du damage control. Le pire, c’est que ce sont des gens de sa propre équipe qui sabordent son autorité. C’est comme se tirer des balles dans les pieds et malheureusement, nous avons l’image d’un Pravind Jugnauth qui ne dirige pas un gouvernent mais un bazar.»

 

Pour Jocelyn Chan Low, qu’aujourd’hui Ivan Collendavelloo vienne affirmer que «c’est un grand cinéma» et que certains souhaitent «déstabiliser le gouvernement» est ridicule. Un ministre qui vient tenir de tels propos «discriminatoires» dans l’exercice de ses fonctions alors qu’il a prêté serment devant la présidente de la République est, martèle-t-il, extrêmement grave. «C’est une incitation à la haine raciale. Il s’attaque à une communauté qui, après les stéréotypes lancés par l’esclavage, essaie de se reconstruire. Coller comme ça de telles étiquettes est criminel. La moindre étincelle peut créer une épidémie sociale et de profondes blessures.»

 

Désormais, poursuit Faizal Jeerooburkhan, le PM devra trouver le remplaçant de Soodhun et malheureusement, dit-il, cela se fera sur une base communale. «Ce n’est pas la compétence de ceux qui ont à cœur le pays qui primera mais leur communauté. Tant que cela ne changera pas, on ne peut s’attendre qu’à des politiciens médiocres.» De plus, il est important que nos élus, souligne-t-il, soient formés à comment parler et se comporter en public. «Si ça continue, ce sera une catastrophe pour Maurice. La situation se dégrade à vue d’œil et les grands perdants sont ceux qui sont au bas de l’échelle.» Aujourd’hui, il est plus que jamais essentiel de faire de la politique autrement, surtout à la lumière du 50e anniversaire de l’indépendance. 

 

Un «serial dérapeur»

 

Des casseroles, il en a. Il en a même beaucoup qu’il traîne derrière lui ! Car, s’il a l’habitude de briller de par ses bavures et autres frasques, c’est son dernier écart qui l’a fait tomber. Exit Showkutally Soodhun ! Un communiqué du bureau de la présidence a confirmé hier après-midi sa démission en tant que ministre du Logement et des terres et ce, après un commun accord avec le Premier ministre. Il a dû step down. La raison de sa chute : une vidéo dans laquelle on le voit en compagnie d’un groupe de personnes et dans laquelle il tient des propos susceptibles d’inciter à la haine raciale.

 

La bavure de trop. La goutte d’eau qui a fait déborder la marmite politique qui était déjà en ébullition depuis la diffusion de la vidéo polémique. Beaucoup condamnent ce faux pas jugé impardonnable par celui qui était déjà contesté après de nombreux dérapages. En 2009 déjà, sa participation à une manifestation devant les locaux de Radio One était vivement critiquée. En 2015, il a écopé d’une amende de Rs 2 000. En juillet 2017, il avait lancé publiquement que si son garde du corps lui avait passé son arme, il aurait fait feu sur Xavier-Luc Duval, le leader de l’opposition, au Parlement. Deux mois plus tard lors d’un séminaire à Quatre-Bornes, il a expulsé une femme d’une cérémonie officielle organisée par la National Housing Development Company, entre autres frasques qui ont jalonné sa carrière.

 

C’est en 1976, lors des élections générales, que celui qui a travaillé comme fonctionnaire au ministère de la Santé à la fin des années 60 a fait son entrée en politique. Il est alors candidat du Mouvement militant mauricien socialiste progressiste et se classe à la 13e place. Candidat du MSM en 1987 à La Caverne-Phoenix, il est repêché comme best loser et fait alors son entrée pour la première fois au Parlement en tant que PPS. Quatre ans plus tard, soit en 1991, il devient Chief Whip du gouvernement sous la bannière
du MSM-MMM. 

 

Si en 1995, il perd les élections, il est une nouvelle fois élu en 2000, encore une fois sous la bannière MSM-MMM. Il est nommé alors ministre du Travail et des relations industrielles.  En 2005, après la défaite de l’alliance MSM-MMM, il devient Whip de l’opposition. Cinq ans plus tard en 2010, c’est au sein de l’alliance PTr-MSM qu’il devient ministre de l’Industrie et du commerce avant de devenir ministre des Coopératives. En septembre 2014, il est nommé Whip de l’opposition avant d’embarquer à bord du navire de l’Alliance Lepep en décembre 2014 qui, depuis, essuie plusieurs tempêtes dont quelques-unes provoquées par nulle autre que lui… le serial dérapeur.

 

Une affaire qui fait couler beaucoup d’encre

 

Tout a commencé le mardi 7 novembre. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, reçoit à son bureau Nad Sivaramen, directeur des publications de La Sentinelle, et le journaliste Axcel Chenney. Ces derniers lui exposent une vidéo filmée en caméra cachée où l’on voit Showkutally Soodhun tenir des propos à fort relent communal pouvant inciter à la haine raciale. Dans la vidéo, il évoque aussi des mesures discriminatoires contre une section de la population.

 

Très vite, cette actualité devient le talk of the town. Interrogé sur la vidéo, le mercredi 8 novembre, Pravind Jugnauth affirme qu’il a parlé au commissaire de police et qu’à la suite de l’enquête policière, il prendra une décision. Jeudi 9 novembre,trois personnes portent plainte contre Showkutally Soodhun dans le cadre de cette affaire. Entre les posts et autres status condamnant les mots de l’ex-no4 du gouvernement, l’affaire Soodhun alimentent toutes les conversations. La Toile s’enflamme, entre ceux qui n’hésitent pas à affirmer fièrement leur identité et ceux qui s’insurgent contre le racisme, entre autres commentaires. Une manifestation s’organise, d’autres plaintes sont déposées contre Soodhun et une pétition circule sur le Net avec comme réclamation principale : la démission de Soodhun.

 

La fin de la semaine a aussi été riche en rebondissements. Les réactions se sont enchaînées, certains craignant même pour l’harmonie sociale du pays. Le chef de l’Église, le Cardinal Maurice Piat, s’est même rendu au Prime Minister’s Office.Le jeudi 9 novembre, c’est  Ivan Collendavelloo, Premier ministre adjoint et ministre de l’Énergie, qui a donné son avis sur cette actualité très brûlante : «Seki Soodhun inn dir dan sa video-la, ce n’est pas le point. Linn dir li an ti komite an prive, pa lor lestrad.» Le lendemain, vendredi 10 novembre,Showkutally Soodhun, d’un commun accord avec le Premier ministre, quitte ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre du Logement et des terres.

 

C’est Pravind Jugnauth lui-même qui fait cette annonce lors d’une conférence de presse à son bureau. Dans un communiqué émis le samedi 11 novembre, le bureau de la présidence confirme avoir reçu la démission de Showkutally Soodhun du poste de vice-Premier ministre et ministre du Logement et des terres. Il siégera désormais à l’Assemblée nationale en tant que député.

 

Réactions

 

Xavier-Luc Duval, leader de l’opposition. «J’espère que le départ de Showkutally Soodhun servira de leçon à tous les racistes en politique. C’est mon plus grand souhait. Cependant, je n’ai pas grand espoir», a-t-il déclaré lors de la conférence de presse du samedi 11 novembre. 

 

Paul Bérenger, leader du MMM.«Après ces quelques jours difficiles, c’est l’occasion pour tout le monde de se ressaisir. Au Parlement d’abord mais aussi dans le pays. Les choses se détériorent depuis quelque temps, avec le comportement des élus au Parlement. Ces événements peuvent être l’occasion pour le Premier ministre et la Speaker de se ressaisir», a-t-il dit lors de sa conférence de presse hebdomadaire. 

 

Patrick Assirvaden, PTr.«Avec la pression populaire, le Premier ministre Pravind Jugnauth n’avait pas d’autre choix que de demander à Showkutally Soodhun de démissionner. Toutes les communautés confondues, toute la population, se sentent soulagées que Soodhun ait été mis hors d’état de nuire. Il est un danger potentiel pour l’unité nationale. Nous, au niveau du PTr, estimons qu’une personne qui tient de tels propos n’a pas non plus sa place au Parlement. Il devrait démissionner et laisser les habitants de Vacoas choisir leurs représentants au Parlement.»

 

Navin Ramsoondur, porte-parole du regroupement des associations sociales de la circonscription no15.«Nous sommes très attristés par cette décision mais nous respectons la décision du Premier ministre. On a voulu faire croire qu’il a incité à la haine raciale. Nous ne sommes pas d’accord. Le pays entier sait que notre frère Soodhun ne ferait jamais ce genre de chose !» a-t-il déclaré lors d’un point de presse, le samedi 11 novembre.

 

Textes : Amy Kamanah-Murday et Christophe Karghoo