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Pénurie de thé : Sur la route des… «lotel dite»

Le précieux breuvage en version paille et en gros logement se fait de plus en plus rare. Un sérieux problème pour ces établissements…

Le temps semble s’être arrêté. Dans un petit recoin de la ville de Curepipe, «caché» dans des vieilles arcades non loin de la gare, entre Allsport et le magasin Maxime, se trouve un lieu de rendez-vous pour les habitués, amoureux de thé. Une petite maison de ciment, à l’intérieur de ce building d’époque, où depuis plus de 40 ans, on savoure ce breuvage en communauté. Enn lotel dite quoi. En cette fin de matinée, des touristes ont envahi les lieux à la recherche d’authenticité, de dipin friret de gato pima. À côté du Blue Moon Hotel, un tailleur d’époque, également dans sa petite échoppe au nom incongru, le Modern Style Tailor, s’occupe de ses découpes, entouré de tissus. Les frères Kausim, Noorani et Aajmal, eux, sont au service. Comme leur père. Et avant lui, leur grand-père. Une histoire de famille sur la route du thé. Néanmoins, depuis quelques semaines, les choses se sont un peu compliquées…

 

Ce n’est pas parce que les lotel diteont moins de clients. Pas du tout. Avec le temps, les propriétaires ont su se diversifier en proposant les fameux gâteaux français, des pains fourrés (à Port-Louis) ou encore en se transformant partiellement en boutique (à Phoenix). Par contre, la pénurie de thé sur le marché local (voir plus loin) est un réel problème pour ces commerçants. «Servir du thé, c’est le gros de mon business», confie Noorani qui parle du breuvage en couleurs. Le bleu, c’est celui que préfèrent ses clients. Et puis, il y a le vert et, enfin, le rouge, dans la liste des préférences (ces couleurs renvoient à des marques locales de thé). Un jargon d’expert, en quelque sorte. D’ailleurs, si vous voulez un thé pur, demandez un champagne…

 

Pour trouver cette denrée rare, du thé en paille en gros logement, Noorani fait actuellement le tour des commerçants de Curepipe : «Parfois, j’en trouve. Sinon, j’ai besoin de prendre les petits paquets. Mais ça me revient plus cher.» Il ne peut pas augmenter le prix de sa tasse, qui est à Rs 15, pour autant : «On espère que cette situation ne va pas perdurer.» Ça ne devrait pas être le cas selon les autorités. D’ici décembre, tout devrait rentrer dans l’ordre. Il est un peu plus de 10 heures et Baba Gungadoo arrive pour sa cup of teaquotidienne. Les «hotels» de Curepipe, il les fréquente depuis toujours. Dans sa jeunesse, il y a bien des années, dit-il, il s’agissait de lieux de rencontres incontournables. Là où on échangeait sur la politique, le monde qui changeait et qu’on voulait chambouler. C’était un lieu assez masculin (c’est d’ailleurs toujours le cas).

 

Lait de vache frais

 

S’il est toujours fidèle à ses habitudes, Baba a remarqué qu’au fil des années, le thé était «moins bon» : «On ne le fait plus avec du lait de vache frais. Ça fait toute la différence.»On n’en doute pas ! Concernant la pénurie de thé, il dit n’y avoir pas fait attention : «Mo pa kone, kan mo bizin mo aste, la boutik pa refiz mwa.»Aartee Luximon, elle, par contre, sait de quoi nous parlons. En servant Baba, cette employée du Blue Moon Hotel  s’immisce dans la conversation : «Ça fait deux mois que ça dure. La dernière fois, je suis partie faire mes courses et il n’y avait pas de paille de thé en vente. Heureusement, j’en prends toujours en plus, au cas où. Mais là, je dois me contenter de sachets.» Eh oui ! Cette boisson est un indispensable pour beaucoup de Mauriciens. Autour d’une tasse, on panse ses blessures, on célèbre, on discute et on se dispute. Chacun a ses habitudes, ses rituels et ses préférences.

 

Cette première étape en mode diteà Curepipe nous mène vers une autre. À Vacoas, cette fois, où à l’hôtel Cassim, c’est l’effervescence. Une bonne odeur de gato delwilflotte dans l’air et titille les narines et les esprits gourmands. C’est bientôt l’heure du déjeuner et cette baz, qui s’est modernisée avec le temps, grouille de monde. Assis sur des stoolsen formica, face au mur, quelques personnes d’un certain âge prennent une pause-thé, sur le pouce. Zo Jin sort un peu du lot. La vingtaine, look de djeunz, il s’offre un petit rafraîchissement lacté, tout seul. La conversation n’est pas aisée : il n’est pas mauricien. Mais il aime bien l’ambiance des lotel dite, c’est pour ça qu’il y vient régulièrement, confie-t-il. De quoi faire plaisir à Reshad Warsally qui s’occupe du service et connaît tous les habitués. Sa famille occupe ce coin de Vacoas depuis 60 ans : «Avant tout était en bois. Mais on a fait des travaux et c’est beaucoup plus moderne maintenant.»

 

«Enn lot sa»

 

Le thé, c’est encore une fois une histoire de famille (d’ailleurs, c’est le cas dans tous les lotel diteque nous avons visités). Si depuis deux mois, il ne reçoit plus sa livraison de thé – la marque qui le fournissait ne vient plus –, il se débrouille pour servir le maximum de gens : «C’est un manque à gagner pour nous parce que nous devons acheter des petits logements. Mais nous n’avons pas le choix. Nous devons continuer à servir nos clients.»Importer du thé – une des propositions des autorités pour parer à cette pénurie – ne lui convient pas, néanmoins : «Dite morisien enn lot sa.»Haydar n’est, lui, pas si accroché au made in Maurice. Surtout quand les temps sont difficiles : «Mais il faut que la qualité soit bonne.»

 

Le jeune homme fait partie de la quatrième génération de la famille Nuzeebun de Phoenix à s’occuper de l’Otel Dado. C’est dans l’arrière-boutique qu’il sert le thé. À l’avant, c’est son père Ahmad qui se charge de vendre les produits de son petit commerce. Dans les vitrines, des puits d’amour, des napolitains ou encore des ladoo et des gato diles’offrent une place à côté des biscuits et des boîtes de conserve. Ici aussi, la pay diten’est pas facile à trouver. Alors pour les sept litres de thé préparés au quotidien, de 5 heures à 23 heures, il faut quand même se débrouiller, opter pour les petits logements et abandonner le temps d’une pénurie sa marque préférée. Haydar a, en plus, remarqué quelque chose depuis deux ou trois mois : «La paille n’infuse pas bien. Si je mets dix cuillères de thé pour un litre, ça ne suffit plus.»

 

Pour la dernière étape de ce périple so tea, direction l’hôtel Mohun, qui se trouve à la route Nicolay, Port-Louis. Une bâtisse en pierre, rappelant les vieux laboutik sinwa, qui tient bon depuis un siècle, selon les frères Karamtally, Sheik Hasihinee et Sheik Ilshaad. En ce début d’après midi, ces experts en thé ont un moment de répit. Ils servent le fameux breuvage, vendent des gâteaux et proposent des pains fourrés de 5h30 à 22 heures. Pour les gajaks, ça va. Mais pour le plat principal – une bonne tasse de thé, bien sûr –, les choses se sont corsées ces derniers temps : «Dans les supermarchés, nous n’avons droit qu’à un gros logement par personne. Alors nous sommes obligés de ruser.»Donc, c’est parfois quatre à cinq personnes qui se relaient pour en acheter afin de s’assurer qu’il n’y ait pas de clients qui repartent sans leur tasse.

 

Ils ont hâte que les choses reviennent à la normale. Que les lotel dite, qui ont traversé le temps et les modes, puissent opérer en toute sérénité.

 


 

Pénurie de thé : regard vers l’importation

 

Il n’y a pas que dans les lotel diteque la pénurie pose problème. Les particuliers qui doivent se tourner vers les sachets de thé, dont ils n’ont pas l’habitude, sont également concernés. Du coup, c’est au Parlement, le mardi 15 novembre, que le ministre de l’Agro-industrie, Mahen Seeruttun, a apporté des précisions concernant ce manque de thé – en gros logement et en version paille – sur le marché : il serait dû au prolongement de l’hiver et au vieillissement de la main-d’œuvre. Dans ce contexte, l’importation serait une solution : «J’ai rencontré les producteurs de thé la semaine dernière. On envisage de se tourner vers l’importation du thé le temps que la situation s’améliore.».