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Metro Express : Gouvernement, une popularité en chute libre ?

Le gouvernement pourra-t-il se relever après les épisodes de ces deux dernières semaines ? La question se pose.

Après avoir fait fureur avec son slogan Vire Mam aux dernières élections générales, se pourrait-il que cet épisode signe l’arrêt de mort de l’Alliance Lepep ? La stratégie du gouvernement finira-t-elle par payer ? Pas sûr, estiment les observateurs politiques. 

Face à la vague de contestations, face aux cris et aux larmes, ils ont brandi le drapeau de la modernisation, de l’innovation, d’une nouvelle ère pour le pays. Leur stratégie est restée la même : déblayer à tout prix le terrain pour céder le chantier à Larsen & Toubro dans les temps afin que le Metro Express puisse sortir de terre. Sauf que le gouvernement n’avait pas prévu autant de résistance. Les épisodes du vendredi 1er septembre à La Butte et à Barkly ont marqué les esprits. Les images des centaines de policiers débarquant dans ces localités avec bulldozers pour démolir les maisons ont créé choc, révolte et incompréhension.

 

Si depuis quelques jours, la stratégie du gouvernement, qui s’est lancé dans une bataille juridique, est d’inverser l’opinion publique en essayant de démontrer que les contestataires occupent illégalement les terrains de l’État, qu’ils étaient prévenus et qu’il n’a donc pas mal agi, des interrogations subsistent. Aujourd’hui, les critiques s’articulent principalement autour de la manière de fairedu gouvernement. L’opposition et les citoyens décrient le traitement «inhumain»qui a été réservé à ces personnes, le manque de planification et de communication des autorités ainsi que l’absence d’une prise en charge sociale et d’un plan de relogement adéquat. 

 

Selon Jack Bizlall, cette affaire pourrait bien causer la perte de ce gouvernement après l’échec connu avec Betamax et BAI. «C’est l’exemple même de la pratique d’une dynastie. Voilà comment une décision familiale peut être appliquée à tout un pays sans vrai débat dans le cabinet, à l’Assemblée et sans les conseils des techniciens.»Ce qu’il trouve le plus grave, dit-il, c’est la «soumission»des députés du MSM, d’Ivan Collendavelloo et de Nando Bodha face à un projet qui s’annonce «catastrophique»et «dangereux»sur le plan social, économique et politique. 

 

Aujourd’hui, la popularité du gouvernement semble avoir été sérieusement entachée. Une popularité qui, selon les observateurs politiques, était déjà en chute libre. Pour Jocelyn Chan Low, les faux pas ont été nombreux. Les autorités, dit-il, ont lourdement failli dans leur tâche. «Il n’y a pas eu de Task Forcedevant un dossier aussi sensible. Quand un ministre vous dit qu’il n’était pas au courant que des enfants ont été traumatisés, c’est grave. Ils ont donné l’impression qu’ils n’en avaient rien à faire de ces gens. Il y a eu un sérieux breakdownsur la communication.»Il y a aussi toutes les contrevérités autour qui viennent abasourdir le public. «Les habitants disent qu’ils n’ont rien reçu comme argent, qu’ils sont anxieux et, en face, le gouvernement affirme que la compensation a déjà été payée. Which is which ?»

 

La goutte d’eau...

 

Ce manque de communication ne cesse justement d’être critiqué. Pour Shafick Osman, géopoliticien et chercheur associé à la Florida International University, une chose est claire : «Le gouvernement et Metro Express Ltd ont failli dans leur communication. D’ailleurs, toute la communication du gouvernement est à revoir.»Il a toutefois noté qu’au terme de ces événements, le Premier ministre a voulu se montrer plus ferme. «Je pense que, pour lui, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il a voulu montrer au public qu’il peut prendre des sanctions si la police et la MBC ne font pas leur travail comme il le faut. C’est un signal clair de sa part et vivement qu’il continue à prendre des sanctions plus sévères.»

 

Cependant, ces «sanctions» suffiront-elles pour redorer le blason de Pravind Jugnauth et de son gouvernement ? Difficile à croire pour Jocelyn Chan Low. Le pire, dit-il, c’est qu’une institution comme la police ait été égratignée et que la MBC soit un «paillasson total». En essayant d’aller trop vite, assure-t-il, le gouvernement a adopté une stratégie contre-productive qui pourrait lui causer beaucoup de tort. «Aucun gouvernement, aucun pouvoir politique, ne sort gagnant d’une situation pareille»,estime, pour sa part, Shafick Osman. Et désormais, certains imaginent les répercussions sur l’échiquier politique. Les pièces du puzzle vont-elles se mettre à bouger ?«Certains parlent du silence assourdissant de Bérenger ces jours-ci. Les vrais manœuvres se feront après le jugement du Privy Councilsur l’affaire MedPoint. Cela dit, Arvin Boolell est devenu le blue-eyed boyconvoité par tous ou presque.»

 

Selon Jocelyn Chan Low, l’agenda de ce gouvernement est limpide. «Après les scandales, la paralysie et le non décollage économique, ils veulent se rattraper à vitesse TGV mais traîner ce boulet pourrait être la fin de tout.»Si le pays a risqué l’explosion sociale, le traitement réservé aux ministres à Barkly est l’exemple de la «descente aux enfers»du gouvernement qui était déjà, dit-il, très bas dans les sondages et l’opinion publique. «Il n’est qu’à deux ans et demi de son mandat et il ne peut déjà pas affronter la foule. Bien sûr, c’est déjà arrivé dans le passé.» Mais ça, c’était, dit-il, dans un contexte de fin de règne. 

 

Trois questions au… Père Eddy Coosnapen, curé de la paroisse de Sacré-Cœur : «Le dialogue doit continuer»

 

Le prêtre était l’initiateur de la rencontre entre les habitants de Barkly et les ministres Collendavelloo, Sinatambou et Gayan. Il nous en parle.

 

Comment est venue l’idée de cette rencontre d’explication avec les membres du gouvernement ?

 

J’entendais déjà depuis deux ou trois jours qu’on allait casser les maisons (je préfère le terme «casser» à démolir, alors je vais l’utiliser ici). Personne ne prenait cette nouvelle au sérieux. Et au fond de moi-même, je me suis dit : il y a quelque chose qui ne marche pas, il manque quelque chose à cette démarche : il n’y a pas eu assez d’informations. Le jour où les bulldozers sont arrivés, personne ne s’y attendait. C’est ce qui a fait que les gens ont réagi : on va casser leur maison, ils ne vont pas vous accueillir avec des fleurs. Je suis parti sur place et je me suis dit qu’en tant qu’homme d’Église, il y avait un travail à faire, un message à faire passer. S’il n’y avait pas eu l’injonction de la Cour, il y aurait eu des dérapages. Je l’ai senti. Alors, j’ai pensé que je devais entamer un rôle de médiation et travailler avec le conseil pastoral de Barkly. 

 

Quel est le bilan que vous en faites ?

 

Il y avait une première rencontre avec les députés de l’opposition. C’était beaucoup plus simple. Il faut dire qu’ils avaient le beau rôle. Mais nous nous sommes appuyés sur cette rencontre pour travailler sur celle prévue avec des représentants du gouvernement. Quand j’ai contacté ces derniers, j’ai senti qu’ils attendaient ça, qu’ils se rendaient compte qu’ils avaient manqué quelque chose… même s’ils ne le disent pas. Le point de rencontre : le centre de jeunesse. Mais un ministre m’a fait comprendre – et je l’avais senti aussi – que le lieu n’était pas propice, trop au cœur de l’événement. On savait que c’était chaud. Alors, j’ai proposé la salle de l’église de Sacré-Cœur et le Center of Learning qui se trouve à Barkly. C’est la deuxième option qui a été retenue. 

 

Je pense que les gens avaient besoin d’exprimer leur trop-plein, leur frustration. Et ils l’ont fait même s’ils n’ont pas été écoutés et entendus. Je ne sais pas si c’est l’injonction qui ne permettait pas aux ministres de s’exprimer mais c’était un dialogue de sourds. Et ces personnes étaient frustrées et révoltées de se sentir déconsidérées, traitées comme des moins que rien. Personne ne veut avoir l’impression d’être traité comme un moins que rien. 

 

Comment cela se passe pour les habitants de Barkly, actuellement ? 

 

Je sens que c’est l’apaisement. On va dire que c’était un mal pour un bien (même si ce n’est pas exactement ça). Cet événement a rapproché les gens. Ils parlent, se rencontrent, partagent. J’insiste sur le fait qu’il faut continuer le dialogue. Je suis pour d’autres rencontres avec les membres du gouvernement. Le dialogue doit continuer. À force de parler, on finit par se comprendre. On arrive à un point de rencontre. On peut arriver à des compromis, on peut trouver le chemin vers une compensation. Et il ne faut pas oublier cela : il faut faire avec, ne pas faire pour. C’est ce qui amène la paix sociale. 

 

Une question d’EIA

 

Il l’a dit. Me Yousuf Mohamed, leading counsel de la famille Rujubali, n’en démord pas : la Regulation 40/17, initiée par le ministre de l’Environnement en mars 2017, pose problème. Elle serait même illégale car elle permet à la firme Larsen & Toubro d’entreprendre les travaux sans obtenir un Environmental Impact Assessment (EIA) : un document essentiel dans le cadre d’un projet d’infrastructure. Ce point devrait être une arme de choix pour les contestataires. Sur la question de l’EIA, le porte-parole du gouvernement, Étienne Sinatambou, a simplement répliqué : «Il y a beaucoup de désinformation autour de ce projet. Il est entouré de choses négatives alors que c’est le plus beau projet du pays.»

 

La MBC fait son cinéma 

 

Non couverture des incidents de La Butte et de Barkly ? Pa kastet. Le conseil d’administration de la MBC souhaitait que son General Manager, Mekraj Baldowa, soit sanctionné dans cette affaire. Néanmoins, le principal concerné a vite repris ses fonctions suite à une rencontre avec le Premier ministre : «Il a réitéré sa confiance en moi.» Jagdish Jattoo, Head of News, qui a également été suspendu, s’est expliqué, cette semaine. Il devra attendre la décision du conseil d’administration. D’autre part, le board a demandé à David Boodnah, qui avait démissionné dans le cadre de cette affaire, de reprendre son poste de directeur de l’information par intérim.

 

Au gouvernement : petit malaise entre amis 

 

Une gestion qui fait tiquer. Des commentaires qui gênent. Et un silence qui dérange. Bienvenue dans les coulisses de l’alliance gouvernementale suite aux événements qui ont eu lieu à La Butte et Barkly. Si Pravind Jugnauth affiche la sérénité, au cœur de son équipe, les choses ne seraient pas «si zen». La fuite des documents privés sur les avoirs des Rujabali (une tentative pour modifier l’opinion publique) et les déclarations d’Étienne Sinatambou ainsi que la réunion mal gérée à Barkly en début de semaine ont fait voler un vent de malaise. La rumeur selon laquelle le ministre du Transport, Nando Bodha, serait prêt à claquer la porte n’aiderait pas à calmer les choses. Son silence, encore moins :  «D’un côté, on a Sinatambou qui enchaîne les erreurs. De l’autre, Bodha ne veut plus communiquer. Quel message envoie-t-il ?», se demande un membre du MSM. Néanmoins, selon un proche du ministre du Transport, celui-ci est persuadé que les Mauriciens comprennent la nécessité de ce projet : «Il ne compte pas démissionner. Mais il estime s’être déjà longuement expliqué sur  ce dossier.»

 

Petit point… sur les points de presse 

 

Paul Bérenger l’a dit lors de son point de presse, le samedi 9 septembre ; le MMM était plus que présent aux côtés des habitants de Barkly et de La Butte. «Nos députés étaient là. Nous avons effectué notre travail comme une équipe. Je suis contre la politisation à outrance des événements», a déclaré le chef de file du MMM.

 

C’était Aurore Perraud qui était aux commandes de la conférence de presse du PMSD, le samedi 9 septembre. Elle a affirmé que son parti était pour «un développement au visage humain» : «Le parti est contre la façon de faire du gouvernement concernant le  projet Metro Express.»

 

Cardinal Maurice Piat : «Pour un vrai développement, il faut…»

 

Le message est sûrement passé. Surtout que pendant son homélie, au caveau du Père Laval, ce vendredi 8 septembre, le cardinal Piat avait un «spectateur» de choix : le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Entre autres thèmes, l’homme d’Église a abordé celui du Metro Express. S’il pense que de nombreuses personnes sont en faveur d’un nouveau système de transport, il estime toutefois que pour que ce projet «apporte un vrai développement», il est essentiel d’écouter les Mauriciens. Et offrir trois choses à ces familles «dont la maison et l’environnement seront les plus affectés» : «Il faut que ces personnes puissent s’exprimer, parler de leurs difficultés, de leurs craintes, puissent recevoir des réponses claires, des assurances, des explications, puissent sentir qu’on les prend en compte, qu’ils ont leur mot à dire.»

 

Des histoires, des jugements (en attente)

 

Une semaine riche en rebondissements. Entre affidavits, contre-affidavits et injonctions. Mais pas – encore – de conclusion. Les ordres intérimaires stoppant temporairement la démolition des maisons de trois familles ont été maintenus. Néanmoins, il faudra patienter jusqu’à la semaine prochaine pour connaître les décisions de justice. 

 

  • La juge Rita Teelock a réservé son jugement concernant l’affaire Azam Rujubali à La Butte. 
  • Les cas de Serge Gafoor et de la famille Moorar (Barkly) seront entendus devant le juge Bobby Madhub ce mardi 12 septembre. 
  • «Donnez Rs 5 millions à chacune de ces familles et elles vont partir. C’est une compensation raisonnable (…) Les Moorar sont même prêts à laisser tous leurs meubles», a lancé l’avoué, Kaviraj Bokhoree. Néanmoins, il semblerait que les négociations avec le gouvernement ne soient pas d’actualité. 
  • L’homme de loi a également plaidé la cause des squatters de La Butte. Il y en aurait 29 d’entre eux qui, pendant des années, auraient payé leur facture d’eau et d’électricité : «Ce délogement doit s’accompagner d’une réhabilitation de la part du gouvernement.»
  • Sur 32 applications faites par ceux qui ne voulaient pas que leur  maison soit détruite, à Barkly, 10 ont été rejetées par la juge Rita Teelock. La raison : les personnes concernées n’ont pas fourni les documents nécessaires.

 

Pravind Jugnauth, finally

 

Une déclaration du Premier ministre sur le drame humain qui s’était déroulé à La Butte et Barkly était attendue. Et cette semaine, il est sorti du silence lors du lancement d’un Citizen Support Corner au musée de la Poste à Port-Louis : «Tout ce tapage ne détournera pas mon attention et ne me distraira pas de mon travail. Je ne dis pas que je ne suis pas à l’écoute des gens. Nous respecterons la loi et les droits des citoyens.» 

 

Étienne Sinatambou : (not) feeling hot, hot, hot ?

 

Il s’agissait d’une réunion d’explication. Un moment d’échange. Mais le lundi 4 septembre, le ton est vite monté entre les habitants de Barkly et les représentants du gouvernement ; les ministres Ivan Collendavelloo, Anil Gayan et Étienne Sinatambou ainsi que le PPS Alain Aliphon et le maire des villes-sœurs Ken Fong. Ces derniers ont dû s’échapper précipitamment pour rejoindre leur voiture. Néanmoins, il s’agit là d’une version contestée par le ministre Sinatambou : «À aucun moment, je n’ai eu chaud ce jour-là. D’où est-ce que vous sortez de tels mensonges ? (…) Il n’y a jamais eu de départ en catastrophe.»

 

 

Textes : Amy Kamanah-Murday et Yvonne Stephen-Lavictoire