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La longue souffrance des grévistes de la faim

Sunita et Rafick Fokeerbux tiennent bon au Jardin de la Compagnie.

S’affamer pour qu’enfin les autorités leur viennent en aide. C’est l’action de la dernière chance et ils ont décidé d’y participer. Voici leurs histoires…

Un matelas leponz posé sur des palettes. Une vie en spectacle, une intimité oubliée. Et bien sûr, la faim est une douleur sourde. Elle est tellement indissociable du fait de respirer qu’on l’oublie presque. Qu’au bout de six jours de grève, on dit ne plus ressentir cette envie de se nourrir. Qu’au final, il n’y a qu’une grande lassitude qui semble affaiblir chaque centimètre de peau et de muscle. Jamais Sunita n’aurait pensé faire face à ces sensations, à l’impression que sa vie ne tient qu’à un fil. Avec son mari, commandant de bord, elle a investi une grande partie de ses économies dans le plan du Super Cash Back Gold (SCBG) de la défunte BAI. Du jour au lendemain, avec la chute de l’empire de Dawood Rawat, elle s’est retrouvée sans rien (ou presque). Depuis deux ans qu’elle attend, qu’elle se bat, qu’elle s’épuise en démarches, il ne lui reste presque plus rien sur son compte. Alors cette femme habituée à un autre style de vie, qui a vécu de longues années en Belgique, a décidé d’arrêter de se nourrir et de participer à la grève de la faim qui a lieu depuis le lundi 8 mai au Jardin de la Compagnie. 

 

Ce mouvement mené par Salim Muthy, travailleur social, n’a pas pris fin malgré les propos rassurants du ministre de la Bonne Gouvernance, Sudhir Seesungkur (voir hors-texte). En ce vendredi 12 mai, deux autres mouvements de grève de la faim ont débuté. En plus de celui du Jardin de la Compagnie, où les grévistes demandent que l’intégralité ou le reste de leur argent (certains ont reçu une première tranche de paiement, d’autres rien) qu’ils ont investi dans le SCBG et la Bramer Asset Management (BAM) leur soit remboursé, un groupe d’habitants du nord de l’île, regroupés au sein d’une société coopérative (qui a investi dans le SCBG et la BAM), s’affame au Belle-Vue Maurel Community Center et fait les mêmes revendications. Le secrétaire général de l’Association des Consommateurs de l’île Maurice (ACIM) a, lui, décidé de ne pas se nourrir pour une durée limitée afin de protester contre le projet de métro express (voir hors-texte). 

 

Paradis devenu enfer

 

Retrouvons Sunita, assise sur son lit de fortune. Malgré la fatigue et les privations, elle n’a pas baissé les bras : «Je lutte pour ma famille et pour ces autres personnes qui sont dans la même situation. Cette grève n’est pas facile pour une femme. Les toilettes sont dans un état déplorable.» Avec la chute de BAI, c’est son monde qui s’est écroulé : «Nous y avions placé une bonne partie de nos économies, l’argent qui devait nous servir pour notre retraite au soleil. Nous pensions que, de retour à Maurice, nous pourrions vivre bien. Le paradis est devenu un enfer.» Ces deux dernières années, son mari et elle ont tenu le cap, misant sur des économies, pour scolariser leur fils de 15 ans et tenter de ne pas sombrer : «Mon fils est très affecté.»

 

Cette famille n’a, désormais, plus grand-chose (elle a reçu un premier remboursement de Rs 500 000 et est en attente de la restitution du reste de la somme). Son dossier, dit-elle, est actuellement à la Financial Intelligence Unit mais elle espère que ce combat collectif lui permettra de voir la lumière au bout du tunnel. Et c’est avec amertume que Sunita, qui ne veut pas communiquer son nom de famille, s’est lancée dans cette bataille : «Je me suis préparée psychologiquement mais c’est dur.» À quelques mètres d’elle, Rafick Fokeerbux, patron des Galeries Fokeerbux, qui a investi dans le SCBG et la BAM. La veille (NdlR : jeudi 11 mai), une centaine de ses employés sont venus lui apporter leur soutien. 

 

Ce vendredi en fin de matinée, il discute avec ceux présents. Son épouse qui venait tous les jours a dû rester à la maison : «Notre enfant de deux mois et demi est malade à cause de la poussière qu’il y a ici.» Sa grande fille, elle, est incapable d’affronter l’image de son père diminué : «Elle me dit qu’elle n’arrivera pas à me voir dans cet état.» D’ailleurs, celui qui travaille depuis l’âge de 8 ans n’aurait jamais pu imaginer qu’il vivrait cette épreuve à 67 ans : «Ce n’est pas une question d’argent. Mais une question de principe.» L’homme est diabétique et vient de subir une opération chirurgicale à l’épaule (qui demande des séances de rééducation auxquelles il ne va pas à cause de la grève) mais il a décidé qu’il irait jusqu’au bout pour combattre et dénoncer cette injustice : «Mo pare pou al ziska lamor.» Il a vu des grévistes affaiblis par des jours de privation être transportés d’urgence à l’hôpital. Des personnes qui sont en attente de leur argent, comme lui, des gens dont la vie est en suspens depuis deux ans avec le lot de drames que ça provoque. 

 

Dernière chance

 

À côté de lui, un investisseur français, Ronan Danzé. Visage pâle sur matelas noir. Cette grève de la faim, il savait qu’elle serait inévitable. Déjà, il y a deux ans : «J’ai eu le temps de m’y préparer. Je tiendrai bon tant que je n’aurai pas de garantie de remboursement.» Aujourd’hui, c’est sa dernière chance de retrouver son patrimoine investi dans la BAM : «On ne veut pas me rembourser parce que j’ai placé mon argent à travers une one-man companyenregistrée aux Seychelles.» Seules les compagnies de ce genre enregistrées à Maurice peuvent prétendre à un remboursement : «Mais moi, j’y ai mis tout mon patrimoine dix jours avant que la BAI ne s’effondre. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sur la paille. J’ai fait confiance à la Financial Services Commissionet au Board of Investment.» 

 

Pourtant, l’histoire avait bien commencé : une amie Mauricienne et un business en gestation. La perspective d’une vie au soleil. D’un avenir dans les îles. Puis, tout s’est écroulé : «Ma vie a été complètement détruite. J’ai vendu tout ce que j’avais. J’ai bradé les bijoux de famille, les biens qui avaient une valeur sentimentale. J’ai raclé les fonds de tiroir. Je n’ai plus rien. Je ne fais que survivre.» Impossible de ne pas ressentir cette souffrance brute. Mais aussi cette détermination presqu’animale, parfumée à l’instinct de survie. 

 

L’odeur d’un désespoir transformé en énergie qu’on retrouve au centre communautaire de Belle-Vue Maurel. Là, six grévistes de la faim mènent le combat pour eux et pour leurs camarades qui ont investi leurs économies dans le SCBG et la BAM à travers la Vidur Cooperative. La coopérative comptant 1 136 membres a été créée en 1949, à l’époque où il n’y avait pas de banque dans la région. Parmi, on retrouve des laboureurs, des éleveurs et des retraités : «Ils ont économisé cet argent sou par sou. Aujourd’hui, ils n’ont plus rien. C’est une souffrance atroce. C’est parce que nous sommes des ti dimounnque les autorités ne veulent pas nous venir en aide ?» se demande Sreekissoon Gobin, 65 ans, retraité de la fonction publique, qui participe à cette grève. 

 

Il raconte que certains ont dû abandonner la construction de leurs maisons, stopper leurs traitements médicaux, mettre en suspens des traitements prévus à l’étranger et reporter de grands événements familiaux : «C’est une crise humaine que nous subissons. Que les autorités ne s’étonnent pas s’il y a des suicides.» Sur un bout de matelas, deux femmes d’un certain âge ont également décidé de s’affamer. Geeta a 72 ans. Toute sa famille a mis son argent dans la coopérative. 

 

Désormais, les choses simples de la vie – le paiement des frais d’examens des enfants, par exemple – deviennent ardues, raconte-t-elle. Son amie de combat, Sookwantee, 74 ans, ajoute : «Kot nou pa pou kapav al travay aster ? Nu tro vie. Quand nous étions jeunes, nous avons travaillé dur, nous avons économisé. Nous n’avons plus rien, désormais.» Sa petite-fille se marie, bientôt, et elle pleure de ne pas pouvoir lui donner enn ti kas. Pourtant, toute sa vie, elle a travaillé dur, «monn travay dan karo, monn nouri vas» (tout comme Geeta),  et elle se retrouve sans rien : «Nu pe zis demann ki zot rann nou nou kas.»

 

Un hurlement du cœur. Oui, plus qu’un cri. Car si on est capable de faire taire son corps, de mettre sa vie en danger, de s’oublier pour qu’enfin on vous écoute, c’est qu’il ne reste aucune autre solution… 

 

Pravind Jugnauth : c’est la faute à Roshi Bhadain… 

 

La grève n’est pas une bonne façon d’avancer. C’est ce qu’a déclaré le Premier ministre à la sortie du bureau politique du MSM hier, samedi 13 mai. Néanmoins, il a affirmé que son gouvernement ferait de son mieux afin de trouver une solution pour les grévistes et tous ceux concernés (sans préciser quand et de quelle façon). Pravind Jugnauth a ajouté qu’il y a, actuellement, un «problème d’argent». Ce problème serait la faute de Roshi Bhadain, l’ancien ministre de la Bonne Gouvernance : «C’est lui le grand responsable de cette situation. C’est hypocrite de sa part d’aller voir les grévistes et de verser des larmes de crocodile. C’est lui qui avait dit qu’il y avait un plan de remboursement et qu’il y avait assez d’argent. Linn anbet dimounn Au final, ce n’est pas le cas, affirme Pravind Jugnauth : «On comprend maintenant pourquoi il a quitté le gouvernement. Il y a des choses troublantes concernant la disposition des assets. Aujourd’hui, il n’y a que très peu d’argent qui reste.»

 

«Je n’arrive pas à marier ma fille»

 

 

Autour de ces grévistes de la faim, il y a des histoires et des drames qui se racontent. À Belle-Vue Maurel, c’est Luximee Apeegadoo qui veut raconter sa détresse. Dans le centre communautaire, elle est assise sur une chaise en plastique, tout comme d’autres membres de la Vidur Cooperative pour montrer leur soutien à ceux qui ont décidé de ne plus s’alimenter. À 57 ans et après des années à faire des ménages, elle avait mis de l’argent de côté, pour l’avenir, pour ses enfants. Mais depuis deux ans, elle attend de récupérer ce qu’elle a investi. Surtout qu’il est temps, dit-elle, de marier sa fille : «Mais je n’arrive pas à le faire. On doit sans cesse renvoyer la date du mariage. L’argent est bloqué. Je m’inquiète, je ne sais pas ce qui peut arriver.» Elle a des craintes de maman, se demande si le mariage ne va pas finir par être annulé, si «garson la» ne va pas se lasser…

 

Une situation délicate, qui engrange son lot de stress et de frustrations, qu’elle espère voir se décanter grâce aux mouvements menés par ses camarades d’infortune.

 

Faire la grève… par solidarité 

 

Rajeev Bhundu, un travailleur social habitant Amaury, s’est lancé dans la grève de la faim à Belle-Vue Maurel. Il a décidé de s’engager, touché au cœur : «J’étais à une fête de troisième âge et j’ai vu la souffrance de ces personnes. Surtout des femmes. Elles sont venues vers moi, elles pleuraient. Alors j’ai décidé de le faire pour elles.» C’est sa première grève de la faim et elle n’est pas aisée : «Mais je vais tenir le coup parce que c’est une injustice.»

 

 

Jean-Éric s’est joint à la grève du Jardin de la Compagnie alors qu’elle était en cours. Pour lui, c’est une question de solidarité, «en soutien à l’action de Salim Muthy». «Je ne pouvais pas rester chez moi, dans mon confort, alors qu’il y a tellement de gens qui souffrent. Cet homme m’a inspiré et c’est aussi une façon de dire mon admiration à Salim.» Lui a déjà reçu le remboursement de son investissement (un dernier paiement devrait avoir lieu en juin). À ses côtés, Anoushka, son épouse, l’accompagne dans cette épreuve. Ce n’est pas simple de voir sa moitié s’affaiblir physiquement. Pas simple d’accepter que son autre mette sa vie en danger pour une cause. Mais elle le soutient et est même fière de lui, tout comme leur fils de 3 ans. 

 

Un défilé de… politiciens 

 

Comme s’il en pleuvait ! Il y en a eu des politiciens, cette semaine, au chevet des grévistes du Jardin de la Compagnie. Navin Ramgoolam et ses troupes, Xavier-Luc Duval et sa bande, Alan Ganoo, aussi, et plusieurs députés du MMM ont rencontré ces hommes et ces femmes qui mettent leur vie en danger. Roshi Bhadain a aussi fait le déplacement. Il a proposé ses services d’avocat gratuitement (mais comme on l’imagine, sa proposition n’a pas été accueillie avec beaucoup de chaleur).  

 

Les engagements de Sudhir Seesungkur. Le ministre de la Bonne Gouvernance, qui rendait visite aux grévistes de la faim du Jardin de la Compagnie, a assuré qu’une solution pour le remboursement des personnes concernées sera trouvée dans les prochains jours : «Nous faisons ce qu’il faut pour les aider. Le gouvernement est conscient des sacrifices que font les victimes. Il faut aussi comprendre qu’il s’agit d’un problème assez grave. Toutefois, nous faisons de notre mieux pour trouver une solution.» Un comité présidé par Pravind Jugnauth devrait travailler sur cette «solution». Néanmoins, les grévistes, eux, ne veulent pas se contenter de paroles…

 

Salim Muthy : «Nous voulons de réels engagements»

 

Rien que des paroles. C’est en ces termes que le porte-parole des grévistes Salim Muthy qualifie les engagements pris par le ministre de la Bonne Gouvernance, Sudhir Seesungkur. Selon celui qui a, également, cessé de se nourrir depuis lundi, ça fait deux ans que les personnes lésées font face à des promesses non tenues. Désormais, il leur faut du concret :«Nous voulons de réels engagements. Nous attendons quelque chose en écrit. À ce moment-là, nous étudierons ce qu’on nous propose et nous verrons.» Il s’inquiète, dit-il, de la situation dans le pays : «Est-ce qu’il faut, aujourd’hui, faire une grève de la faim pour se faire entendre ?»

 

Des personnes payées. Hier, vendredi 12 mai, certaines victimes de la chute de la BAI ont reçu des chèques. Néanmoins, ce geste est insuffisant, confie le porte-parole : «Il ne faut pas croire que lorsqu’on a payé une centaine de personnes, la lutte s’arrête là. Ceux qui ont obtenu leur argent sont ceux qui n’avaient pas obtenu la première tranche de Rs 500 000 en 2016. Ceux qui ont investi au sein de la Bramer Asset Managementne savent pas quand ils seront remboursés.»

 

Jayen Chellum : son combat contre le métro express 

 

Il ne mangera pas pendant trois jours. Pourquoi ? Pour protester contre le projet de métro express. Et le secrétaire général de l’ACIM a lancé sa grève de la faim à durée limitée, le vendredi 12 mai, dans son bureau à Bell-Village (la veille, le 11 mai, il s’était rasé le crâne devant le Parlement en signe de protestation). D’ailleurs, c’est dans ces locaux qu’il discute avec des sympathisants ce jour-là, une bouteille d’eau à portée de main. Il explique sa démarche, parle de communication avortée avec les autorités (sa lettre demandant des éclaircissements sur le projet a obtenu une réponse insuffisante et tardive), s’étend sur le projet de congestion à Maurice et dénonce les promesses non tenues du gouvernement. Son mouvement de grève, dit-il, a plusieurs objectifs. Il s’agit de pousser le gouvernement à s’enquérir de ce que la population souhaite (il parle de démocratie participative) et à demander une étude comparative entre le métro et le busway (alternative beaucoup plus viable pour décongestionner l’île, explique-t-il) avant la mise en chantier du métro express. Sa grève de la faim n’est qu’un point de départ, assure-t-il. Soutenu par différentes plateformes syndicales, notamment celles qui se trouvent dans le domaine du transport. Il compte lancer une vaste campagne de sensibilisation autour de ce mode de transport polémique.