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La grippe fait trois morts : Souffrance et révolte des familles

Shashi Pursun est resté dans le coma pendant deux semaines avant de succomber.

En une semaine, trois décès liés à la grippe A H1N1 et à la grippe H2N3 ont été recensés : Shashi Pursun, 37 ans, Gorah Bhay Ruhomally, 54 ans, Azize Joomun, 82 ans. Leurs familles témoignent, partagées entre tristesse, colère et incompréhension, alors que les autorités, pour leur part, tente de rassurer la population.

Les frères de Shashi Pursun, 37 ans : «Le ministère de la Santé banalise la situation…»

 

Ils ont des paroles très dures envers les autorités. Les frères Pursun sont révoltés par les circonstances entourant le décès de leur aîné Shashi. Cet homme de 37 ans, habitant Lallmatie, est décédé de la grippe A H1N1, le mardi 30 mai, à l’hôpital de Flacq. «On a l’impression que le ministère de la Santé banalise la situation. Il aura fallu deux morts pour qu’il décide d’en parler officiellement», martèle Akshay Pursun. Son frère Harish n’en démord pas non plus : «Le Tamiflu n’a pas marché sur Shashi. Nous ne voulons pas que d’autres familles vivent cette situation. Le ministère de la Santé doit trouver une solution pour éviter d’autres morts.»

 

Officiellement, Shashi Pursun est décédé suite à une infection aux poumons. C’est du moins ce que le personnel soignant a fait comprendre à sa famille après leur avoir dit qu’il avait contracté la grippe A H1N1. Il est mort deux semaines après son admission, le 16 mai. «C’était un mardi. Il souffrait de la toux et de la fièvre. Il était conscient. Il s’est toutefois retrouvé à l’unité des soins intensifs deux jours plus tard. Le personnel soignant nous a dit qu’il souffrait de la grippe A H1N1 et avait développé une infection virale sévère aux poumons», précise Akshay.

 

Une fois en soins intensifs, Shashi Pursun a été plongé dans un coma artificiel car il éprouvait des difficultés à respirer. Pendant tout le temps, ses proches se sont accrochés à l’espoir qu’il allait s’en sortir et a beaucoup prié afin qu’il revienne parmi eux. Malheureusement, il est décédé 14 jours plus tard, le mardi 30 mai. Laissant sa famille dans une grande souffrance mais aussi dans l’incompréhension et la colère envers les autorités. «Il est resté dans le coma jusqu’à sa mort. Le ministère de la Santé a mal géré cette situation», assène Harish Pursun, révolté. 

 

Akshay abonde dans le même sens : «Ce n’est qu’après l’admission de mon frère à l’hôpital que le personnel du département sanitaire du ministère de la Santé est venu chez nous pour faire des examens avec ma belle-sœur et mes neveux et ma nièce. C’est pour cela que nous disons que le ministère de la Santé banalise la situation.»

 

Shashi Pursun est père de trois enfants : deux fils de 14 et 4 ans et une fille de 11 ans. Toute la famille s’était rendue à Shanghai, le 9 avril dernier, pour des vacances. Ils sont revenus à Maurice le 20 avril. «Ils allaient tous bien à ce moment-là. Il a commencé à être malade le 12 ou le 13 mai. Il a été admis à l’hôpital le 16 mai parce qu’il ne se sentait vraiment mal en point. Mais auparavant, il a toujours été en bonne santé. D’ailleurs, il n’aurait pas voyagé s’il avait une quelconque maladie grave. Et contrairement à ce que disent certains, sa fille n’a pas eu la grippe», précise Harish. 

 

En quête de réponses

 

Shashi Pursum était l’aîné d’une fratrie de quatre frères. Selon ses proches, il pratiquait comme «pandit» depuis 20 ans dans plusieurs lieux de culte de la région. Il avait déjà fait parler de lui dans le passé dans une affaire de meurtre. Il a été arrêté car soupçonné d’avoir commandité l’assassinat de Swastee Bhunjun.Le corps de cette jeune femme avait été retrouvé dans un champ de cannes à Poudre d’Or en novembre 2007. Deux autres suspects ont été arrêtés dans cette affaire : Ramcharan Garburrun et Sailesh Mookteeram. Ils ont plaidé coupable aux Assises et seront fixés sur leur sort le 13 juin. Shashi Pursun avait, lui, plaidé non coupable et faisait l’objet d’un procès séparé. 

 

«Dimounn pe fer enn ta palab.Sa case la inn fini sa», nous dit son frère Akshay à ce sujet. Pour lui, aujourd’hui, cela n’a pas d’importance. Son frère est mort dans des circonstances qui révoltent toute la famille. Et tous cherchent
des réponses. 

 


 

La famille de Gorah Bhay Ruhomally, 54 ans : «L’hôpital aurait dû détecter les symptômes dès le début»

 

Admis à l’hôpital avec une petite fièvre, il a rendu l’âme quelques jours plus tard. Gorah Bhay Ruhomally, 54 ans, un habitant de Pailles, a succombé à la grippe A H1N1, le mardi 30 mai. Depuis, la désolation s’est installée au sein de sa famille. Mais aussi la révolte. «L’hôpital aurait dû détecter les symptômes de cette grippe depuis le début», s’insurgent ses proches, très remontés.

 

Gorah Bhay Ruhomally, qui travaillait à son compte dans la restauration rapide dans la zone industrielle de Plaine Lauzun et à Pailles, a toujours été en bonne santé, selon les siens. Mais le lundi 15 mai, il se met à avoir de la fièvre subitement. Il se rend alors à la pharmacie pour s’acheter des médicaments. «Il pensait qu’il allait guérir avec une automédication», explique son gendre Sherfar.

 

Ce qui n’a pas été le cas puisque le lendemain, le quinquagénaire se rend à l’hôpital une première fois. «C’était vers 21h40. Son état de santé ne s’était pas amélioré. Il avait toujours de la fièvre. Sa température était de 37,9 degrés. Il avait également des problèmes respiratoires», souligne Sherfar. Sur place, il reçoit une injection et est nébulisé pendant 15 minutes. «Mon beau-père est rentré chez lui vers minuit. Le médecin lui avait prescrit des Panadol, des antibiotiques et un liquide pour se gargariser la gorge.»

 

Mais la fièvre de Gorah ne descend pas. À tel point que le vendredi 18 mai, son épouse, paniquée, téléphone à Sherfar vers 6h30 pour solliciter son aide. «Son état de santé s’était détérioré. Il était toujours fiévreux et éprouvait des difficultés à respirer. Pire : il n’arrivait pas à marcher. À l’hôpital, on a dû le mettre sur un trolleycar il n’y avait pas de fauteuil roulant.» Au Casualty Ward, il est immédiatement dirigé vers un médecin en raison de son état inquiétant. 

 

Assistance respiratoire

 

La température de son corps avait atteint les 40 degrés. «On lui a fait une nouvelle injection. On l’a nébulisé à nouveau. Peu après, on lui a fait une radio et un électrocardiogramme», confie Sherfar. Un spécialiste l’a ensuite examiné et lui a demandé s’il fumait, s’il avait voyagé récemment et où il travaillait. «Mon beau-père lui a répondu par la négative avec beaucoup de difficulté. Le médecin a décidé de le faire admettre. On devait également lui faire une prise de sang. Il a tout de suite été placé sous assistance respiratoire», se souvient Sherfar. 

 

Pendant les heures de visites dans l’après-midi, Gorah est toujours sous assistance respiratoire. «Il a quand même pu boire un peu de soupe que ma femme avait apporté», précise Sherfar. L’état de santé du quinquagénaire se serait toutefois détérioré dans la nuit : «Quand je suis allé le voir le lendemain matin, il n’était pas bien. J’ai décidé d’attendre le médecin. C’est finalement vers 11h30 qu’il est venu et m’a informé qu’il soupçonne un cas de grippe A H1N1», souligne Sherfar.

 

Le médecin lui fait alors comprendre que la famille ne doit pas s’en faire, que Gorah sera placé sous observation et allait recevoir tous les soins nécessaires. «Lors de la visite de l’après-midi, il me faisait des signes pour me faire comprendre qu’il avait des douleurs au ventre et à l’estomac. Il était toujours sous assistance respiratoire. Il voulait qu’on lui fasse une injection car il n’arrivait plus à supporter la douleur. Le médecin de service n’est jamais venu. J’ai dû téléphoner au directeur de l’hôpital. Un médecin est venu cinq minutes plus tard et nous a dit que l’état de santé de mon beau-père était grave et qu’il allait être transféré aux soins intensifs», confie Sherfar.

 

Gorah est toujours conscient à ce moment-là. «Après son admission, le médecin nous a informé qu’il l’avait plongé dans un coma artificiel car il a fallu l’intuber pour le placer sous respiration artificielle et ce, pendant 24 heures.» Dans la soirée, on le met sous Tamiflu. «On attendait tous les résultats des examens sanguins pour être fixés. Ce n’est que mercredi, soit quatre jours plus tard, qu’on a pu avoir la confirmation. Ses poumons étaient devenus blancs à cause de l’infection. Un médecin nous a demandé de beaucoup prier.»

 

Gorah pousse son dernier soupir, le mardi 30 mai vers 5h15. La cause of death officiel est influenza virus, selon ses proches. «Dokter ti fini dir nou ki li pa pou kapav met la grip A H1N1 lor so bann papye akoz sa linformasyon la confidensiel. Pena sa dan so dosye medical me dan enn rapor kinn avoy minister ena li», souligne Sherfar. À sa connaissance, dit-il, une autre femme serait morte de la grippe A H1N1 dimanche dernier. Mais cette information n’a pas été confirmée par le ministère.

 

Le jeune homme conseille au ministère de la Santé de revoir le protocole concernant la prise en charge de la dépouille d’une personne décédée de la grippe A H1N1 : «Nou mem kinn bisin okip tou apre lamor. Lopital inn donn nou zis legan. Nou finn bizin desinfecte nou ek lalkol ek javel apre sa. So lekor inn fer zis sink minit lakaz avan ale simitier. Minister la Sante ti bizin fer plis prevensyon ek osi fer dimoun konn bann mesir sekirite ki bizin pran pou pa gagn sa la grip la.»

 

De plus, la famille attend toujours que le département sanitaire du ministère de la Santé vienne désinfecter la maison de la victime. Ce qui devait être fait, selon elle, depuis que cette grippe lui a été diagnostiquée. Pourtant, des officiers de ce département ont demandé à ses proches de fermer sa chambre à clé et de brûler ses vêtements, sa couverture et son matelas.

 


 

La fille d’Azize Joomun, 82 ans : «Il n’était ni grippé, ni enrhumé»

 

Il serait la troisième victime de la grippe cette semaine. Azize Joomun, 82 ans, un habitant de Saint-Pierre, a rendu l’âme à 6 heures, le samedi 3 juin, à l’hôpital Jeetoo. Il y avait été admis il y a deux semaines pour des complications au poumon. Mais le ministère de la Santé souligne que le virus de la grippe H2N3 avait été détecté chez lui. Par contre au niveau de ce ministère, on ne peut confirmer s’il est mort de cette grippe ou de ses problèmes au poumon ou encore si la grippe a juste aggravé son état. 

 

Cependant, ses proches ne donnent pas l’impression de lier sa mort à ce virus mortel. Sa fille Noorina Mudho, notamment, est convaincu que son décès est seulement dû à ses complications au poumon, qu’il traînait depuis déjà 10 ans. «C’est une maladie héréditaire. Ses sœurs avaient le même problème. Certaines en sont même décédées. Ses parents en souffraient aussi. Ces derniers temps, il n’était pas grippé, ni enrhumé et n’avait pas de toux», précise-t-elle. 

 

Des problèmes cardiaques

 

Son état de santé, dit encore Noorina, s’était détérioré il y a quelques semaines.«À chaque fois qu’approchait la saison hivernale, il tombait gravement malade. Il faisait les allers-retours entre la maison, les hôpitaux et les cliniques. Le médecin l’avait même déjà condamné et nous avait dit que nous pouvions que prier pour lui.» Selon Noorina, «il faisait de la rétention d’eau et cela a entraîné toutes sortes de complications, comme des problèmes cardiaques». 

 

La dernière fois que Noorina Mudho a vu son père vivant remonte à vendredi. «Je lui avais rendu visite à l’hôpital. Il pouvait encore parler mais était très affaibli parce qu’il ne mangeait pratiquement plus.» Elle garde de lui le souvenir d’un homme toujours souriant et plein de vie. Avec un brin de nostalgie, elle confie : «C’est quelqu’un qui ne tenait pas en place. Il nous fallait être sur son dos pour qu’il arrête de faire autant d’efforts. Mais lorsqu’il a arrêté de travailler, il est tombé malade. Il était horloger et adorait son métier. Il a eu une belle vie». Azize Joomun laisse derrière lui une épouse désemparée et cinq enfants.

 


 

La version du  ministère

 

Du côté du ministère, on avance que la situation a été gérée au mieux et qu’elle n’est nullement banalisée comme le prétendent les proches de Shashi Pursun. Tout est fait, dit-on, pour protéger la population et les familles. D’ailleurs, un communiqué de presse, souligne une source au sein de ce ministère, est sorti une semaine avant le double décès pour inviter le public à prendre les précautions d’usages et aussi inviter les Mauriciens à se faire vacciner. Concernant le cas de Gorah Bhay Ruhomally, le ministère souligne qu’on ne pouvait pas savoir dès son admission qu’il avait la grippe A H1N1. Il a fallu faire des examens pour être fixé à ce sujet. Les autres accusations des deux familles contre le ministère de la Santé et le service hospitalier, dit notre source, ne sont que des allégations.

 

Textes : Jean Marie Gangaram et Elodie Dalloo