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Fortes averses sur l’île : Sur le fil de… la pluie

Des histoires d’eau. Les récentes précipitations, dues à un anticyclone, ont affecté plusieurs régions de l’île. D’autres plus que d’autres. Reportage…

A Cité Hibiscus, Flacq : le cauchemar des habitants

 

La nuit a été trop longue. Encore de longues heures noires dans un enfer fait de boue qui envahit les maisons. Depuis trois jours, il pleut sur Cité Hibiscus, Flacq, et partout dans le reste de l’île. Et alors que la mélodie des averses peut bercer, peut donner l’envie d’un bon chocolat au chaud et d’un moment cocooning sous la couette, ici, elle est synonyme de cauchemar. Savates aux pieds, jupes et pantalons retroussés, les habitants de ce coin oublié bravent les accumulations d’eau. Les nuits sans sommeil, qu’ils ont passé à protéger ce qui leur reste de meubles, de nourriture et d’espoir, ont nourri la colère qui gronde chez les habitants de ce quartier. Ce matin, une route impraticable à cause de l’eau qui y a fait son lit et s’infiltre encore une fois dans les maisons, attise les frustrations. D’ailleurs, il faudra attendre presque une heure pour qu’enfin les pompiers arrivent. 

 

Au cœur de la cité, en ce mercredi 3 mai, les voisins sont dans la rue, le ton monte. Un habitant prévient : «S’il le faut nous descendrons dans la rue, nous ferons du désordre si les autorités ne prennent pas notre cas en considération.» Autour de lui, un murmure d’approbation. Oui, ça fait trop longtemps que ces habitants ont l’impression d’avoir été abandonnés à leur sort. Tout le monde veut parler. Il y a tellement de choses à dire, tellement de peurs à partager. Il faut que les Mauriciens sachent. Il faut qu’on leur vienne en aide : «Nous ne pouvons plus vivre comme ça. Il faut que les autorités nous trouvent d’autres logements. Nous voulons nous en aller. Mais nous n’avons pas l’argent pour ça»,confie Josiane Victoire, 57 ans. Patricia Fra, 23 ans, confirme : «Nou tou dakor pou ale.»

 

Ici, les gens n’ont pas trop de moyens mais ce n’est pas la misère noire. Les maisons sont petites mais les jardins sont bien entretenus. Chacun fait un effort, se débrouille. On élève des poules ou des lapins. On fait pousser quelques légumes. On s’entraide entre voisins. Mais ça ne suffit pas. Face à la force destructrice de l’eau qui s’engouffre dans les maisons,  la pauvreté prend une autre dimension. Le moindre effort pour améliorer le quotidien est balayé. «Ma fille, qui a un problème de santé, a travaillé dur pour acheter un lit de princesse à son enfant. Il est bon à jeter désormais», confie Josiane. Pour rentrer chez elle, il faut marcher sur des parpaings, comme sur un parcours d’obstacles. L’eau a submergé son jardin. Son arrière-cour s’est transformée en rivière grouillante et grondante. Effrayant. Dans chacune des pièces de sa maison, un voile humide. Un réfrigérateur abandonné qui a pris l’eau et une pièce où tous les membres de la famille s’entassent pour dormir. Sauf son fils qui est épileptique. 

 

Lui est à l’hôpital. Il pourrait rentrer à la maison ; d’ailleurs, on demande à Josiane de le récupérer depuis plusieurs jours : «Mais je ne peux pas le ramener dans ces conditions. Il s’est blessé en tombant lors d’une de ses crises. Ici, sa plaie va s’infecter.» Oui, parce qu’il n’y a pas que la pluie, il y a la boue. Des saletés, des débris, des déchets. Et ils sont portés par la rivière, impressionnante en ce mercredi, en crue depuis le début des pluies. Sylvie Julie habite juste à côté de cette étendue d’eau menaçante. Il n’y a qu’un mur de roches qui protège sa maison. L’ennemi n’est pas loin. Elle le voit tous les jours. Parfois, il est calme. Mais en ce moment, il se déchaîne. Et là, on ne peut plus l’arrêter : «Il faut se sauver par la fenêtre.» Sylvie Julie montre ses meubles pourris, son monde trempé et ses rêves délavés : «On a tout essayé. On a voulu avoir une vie meilleure. Mais pour chaque pas qu’on fait en avant, on en fait dix en arrière.»

 

Chez sa sœur, Patricia Fra, des chambres sont vides. Il n’y a plus rien dans les placards : «Il n’y a plus rien à manger.» Elle a perdu espoir. Depuis 23 ans qu’elle vit là, elle n’en peut plus de tout recommencer. Pourtant, elle a longtemps essayé ; son intérieur est coquet, bien entretenu. Mais ces dernières nuits passées à tirer de la boue de la maison à l’aide d’une pelle ont eu raison de son énergie. «Oudeza trouv sa ou ?» lance-t-elle, amère. Les nuits sans sommeil où le cauchemar devient réalité, encore une fois, ont noyé ce qui lui restait de foi en l’avenir. Pour l’instant. Avec le retour du soleil, elle verra certainement la vie autrement. Encore une fois… 

 


 

Le calvaire des «nani»

 

«Nu bann vie dimounn, kot nu pou sove ?»C’est le cri du cœur d’Annie Pavillon, 80 ans. Après des nuits sans sommeil, elle est à bout. Depuis dix ans qu’elle vit à Cité Hibiscus avec sa fille, la moindre averse se transforme en cauchemar : «On a un mois de répit et puis, le calvaire recommence. Inn konstrir nu lakaz lor labou Roini Seedeeal, 85 ans, ne retient pas non plus sa frustration : «Nu pe viv kouma lisien. Personne ne s’intéresse à notre sort.» Il est presque midi et pourtant, cette vieille dame qui vit seule n’a encore rien mangé : «Il n’y a plus rien, tout est trempé.» Les mots se bousculent et les larmes s’invitent : «Je ne peux rien faire. Je n’ai plus rien. Ki mo pu fer la mo tifi ?» se lamente-t-elle.

 

Seebawtee Seegoolam a passé des nuits sans sommeil…

 

Asma Moussa a, elle, 60 ans. Dans sa maison humide, son mari handicapé est immobile sur un bout de matelas plus ou moins sec. Sur ses épaules, tout le poids de son monde qui s’écroule à la moindre averse : «J’ai encore tout perdu. Je n’en peux plus.» La dureté de la vie qu’elle a menée se lit sur son visage. De sacrifice en épreuve, seule l’énergie du désespoir fait qu’elle tient encore debout : «Ça fait trois jours qu’on ne dort pas. Trois jours à essayer de sauver le peu qu’il nous reste.» Seebawtee Seegolam, 80 ans, a elle aussi accumulé les nuits blanches : «Enn lanwit nu ress tir delo ar seo. Pa kapav sov nanye.» Pour l’instant, elle ne souhaite qu’une chose. À court terme, pour respirer un peu : que le soleil revienne. Un répit pour panser ses blessures en attendant un autre coup du sort…

 


 

 

À Providence : Forte pluviométrie, «tou dan lord»

 

Des torrents d’eau s’échappent des champs de canne pour rejoindre de larges drains. Un bouillonnement d’eau couleur terre qui a sa propre symphonie. Sur cette partition se mêle celle d’un bruyant autobus et le chant des oiseaux (qui reviennent). Le soleil fait une timide apparition. À l’entrée de ce petit village du district de Moka-Flacq, c’est une explosion de verdure. Puis, la civilisation s’invite dans le cadre. En ce début d’après-midi, la route principale de la localité est quasi-déserte. Un peu d’animation chez le marsan gato delwil, néanmoins. Là, on discute, on se plaint de la pluie en croquant dans un chanapouri.

 

 

Josiane Victoire a vu son arrière-cour se transformer en bassin.

 

Au plus fort des averses, c’est cette région qui a été la plus arrosée (elle a recueilli 176 mm de pluie du lundi 1er mai au mardi 2 mai), néanmoins, aucune maison n’a été inondée : «Tou dan lord. Depuis que les autorités ont refait la route et y ont ajouté des drains appropriés, il n’y a plus de souci», explique un habitant, Mohamad Anwar Emambux. Ce que confirment tous ceux présents à ce petit goûter improvisé : les travaux ont changé leur vie. Mais, précise notre interlocuteur, ce sont dans les rues parallèles à la route principale que les choses se gâtent. Des routes sont impraticables parce qu’elles sont inondées : «De fwa pa kapav rant kot mwa telma ena delo lor sime.»

 


 

 

À Fond-du-Sac : la tristesse de Sabita

 

Les nuages s’amoncellent au-dessus des têtes. Sombres et compacts. Chargés de cette pluie qui fait tellement peur à Sabita Seewar. «Delo kan li vini, li vinn kuma ena vag, li kapav pran ou», explique-t-elle, assise dans son salon à peine meublé (depuis les inondations de 2013 et de 2016, elle n’a plus grand-chose). Si ces derniers jours, les grosses averses n’ont pas fait de dégâts chez elle, sa maison, construite dans un bas fond n’est – et ne sera – jamais à l’abri. D’épisode pluvieux en épisode pluvieux, capé. Elle nous raconte, en larmes, cette frayeur qui ne la quitte plus et la mort de son fils…

 

 

De l’eau et de la boue : à la moindre averse, les choses se gâtent dans cette localité de l’Est.

 

Le 13 février 2013. «Ça fait 35 ans que je vis là. Mo misie inn konstrir sa lakaz la sink an apre nou mariaz. Je l’ai épousé quand j’avais 17 ans. Nous avons toujours été dans un bas fond mais il n’y a jamais eu de réel problème. Un peu d’accumulation d’eau dans la cour, peut-être, mais rien de plus. Et puis, il y a eu le 13 février (NdlR : un mois avant les inondations meurtrières du 30 mars, un autre épisode de montée des eaux a eu lieu).Ce jour-là, mes enfants ne sont pas là, mon mari est allé acheter du pain. Je me retrouve seule dans cette maison où, en l’espace d’un instant, l’eau me monte jusqu’au menton. Je crie, je veux qu’on vienne me sortir de là. Mais personne ne m’entend. Je crois que je vais mourir dans cette maison. Mais ma belle-sœur, qui est ma voisine, finit par m’entendre et donne l’alerte. C’est par la fenêtre qu’on m’extirpe de la maison. S’il y avait des barreaux, je serais morte.» 

 

«Sa lapli-la inn amenn mofinn dan mo lakaz». «Quelques mois après les inondations de 2013, mon mari a fait une congestion. Après celles de 2016, mon fils est mort.» (voir hors-texte)

 

2016, le cauchemar revient. «On a encore tout perdu. Il a fallu tout recommencer.» 

 

La peur, toujours. «Quand la pluie tombe un peu plus fort, comme ces derniers jours, je commence à m’inquiéter. Je m’attends au pire. Je n’arrive pas à fermer l’œil : et si je m’endors et que l’eau envahit la maison ?» 

 

Mes proches, mon soutien. «Dès qu’il y a un peu de pluie, on vient me voir, on m’appelle. Alors, je dis d’attendre, kitfwa bondie pou sap mwa sann fwa la. Tout le monde à Fond-du-Sac sait que ma maison et ma famille sont en danger.»

 

Le gouvernement ne prend pas ses responsabilités. «Je n’ai pas les moyens de faire un étage sur cette maison afin d’y vivre plus sereinement. Pourtant, ce serait la solution. Mais les autorités ne m’entendent pas…»

 


 

«Mon fils est décédé»

 

 

Un sanglot dans sa voix. Des larmes qui naissent au creux de ses yeux. La douleur est là. Elle fait partie d’elle. Sabita a perdu son fils Vishal, 28 ans, il y a bientôt un an : «Il est parti le 9 mai.» Elle tient la photo de ce fils chéri dans ses bras, près de son cœur pour trouver la force de continuer, pour se persuader que, malgré tout, son enfant est toujours là : «Il allait à la gym, il était en bonne santé. Mais après les pluies de 2016, où il a tout perdu dans sa nouvelle maison, il était abattu. Il a eu une douleur, il s’est rendu à l’hôpital et il est mort. On ne s’attendait pas à ça.» Pour elle, le lien entre la mort de son fils et les inondations est réel, tangible même. La disparition de Vishal n’est qu’une autre conséquence de cette eau sale qui a envahi leur maison et leur existence.

 


 

Pour aller plus loin…

Retrouvez notre reportage vidéo sur la page Facebook de 5-Plus dimanche.