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Elle meurt suite à une négligence médicale alléguée | Le calvaire de Suzette Aza, cancéreuse, raconté par son mari

Jean Aza est très remonté contre le service hospitalier.

C’était le vendredi 22 avril. Les auditeurs de Radio One découvraient avec stupeur le témoignage de Suzette Aza, une cancéreuse, dans l’émission Enquête en direct, animée par Finlay Salesse. Depuis janvier, raconte-t-elle, elle attend les résultats de ses analyses à l’hôpital, en vain. Le lundi 25 avril, cette dame de 61 ans, a succombé à sa maladie. Son époux Jean et ses autres proches sont écœurés. Retour sur cette affaire qui suscite l’indignation chez plusieurs personnes.

Il est 15 heures en ce mardi 26 avril. Le cortège transportant la dépouille de Suzette Aza arrive devant l’église du Sacré-Cœur à Beau-Bassin. Les gens sont présents en grand nombre. Les bancs ne tardent pas à se remplir. Vêtu d’un deux-pièces sombre, Jean monte péniblement les marches avant de saisir la croix disposée devant le cercueil pour les besoins de la cérémonie. Des personnes s’approchent de lui pour lui présenter leurs sympathies, mais lui n’a d’yeux que pour le cercueil où repose sa femme.

 

Les traits de cet homme de 72 ans sont tirés. Ses yeux reflètent un immense chagrin.  La veille, à 12h10, celle qui a partagé sa vie pendant 42 ans a poussé son dernier soupir dans des circonstances révoltantes. Triste coïncidence : les funérailles de Suzette, 61 ans, ont lieu le jour même où elle devait être admise à l’hôpital de Candos pour sa deuxième séance de chimiothérapie. Elle souffrait d’un cancer du sein.

 

La dépouille de Suzette converge vers l’autel sur une très belle interprétation de la chanson Mo pu vinn ver twadu père Jocelyn Grégoire. Le père Sylvain Victoire et les membres du «Service Sacramentel» sont, eux aussi, bouleversés. Tous connaissaient bien cette dame qui était très active dans son quartier à Cité Barkly et au sein de plusieurs groupes et services de la paroisse. La cérémonie est chargée d’émotion. Tous pleurent Suzette qui a quitté ce monde dans de terribles circonstances.

 

Le jour de son décès, la sexagénaire souffrait de sérieux problèmes respiratoires. La famille avait fait appel aux services du SAMU, mais on lui avait fait comprendre que ce service se chargeait seulement des personnes accidentées et des cas graves. Les Aza ont multiplié les démarches car Suzette ne pouvait voyager en voiture vu son état. À la mi-journée, elle s’en est allée à jamais, laissant ses proches dans le désarroi le plus total.

 

Suzette, l’éternelle battante, est morte ainsi, sans recevoir le secours des services de santé publics, après avoir vécu plusieurs semaines de calvaire à cause de ces mêmes services de santé. C’est ce qu’elle racontait justement, trois jours avant sa mort, sur les ondes de Radio One, dans l’émission Enquête en direct, animée par Finlay Salesse. Elle témoignait d’une voix assurée, mais non moins chargée d’émotion, comment elle s’était rendue à l’hôpital pour une grosseur au sein, comment on lui avait fait faire des analyses très vite et comment elle a attendu pendant plus de deux mois d’avoir les résultats de ces analyses. À chacun de ses nombreux rendez-vous, on la renvoyait chez elle en lui disant que les résultats n’avaient pas encore été reçus. Sur les ondes, Suzette confiait son «angoisse», sa «colère»face à cette longue attente qui avait fait évoluer sa maladie et disait regretter d’avoir attendu si longtemps. «Mon médecin m’a dit que le temps a joué contre moi. Je suis très en colère, très angoissée…»

 

«Elle serait en vie si...»

 

Son mari, très ému, raconte ce terrible calvaire. «Suzette n’était plus la même. Elle était toujours angoissée. Elle était très affectée par sa maladie et l’attente  était interminable. Je pense que mon épouse serait toujours en vie si elle avait reçu les soins appropriés dès le départ.»Les malheurs de Suzette, dit-il, ont débuté en janvier 2016. «Elle s’est rendue à l’hôpital Jeetoo le 20 janvier après avoir remarqué qu’elle avait une grosseur au sein gauche. Le médecin l’a fait admettre et le même jour, on lui a fait des prélèvements avec une seringue. On lui a aussi fait une biopsie le lendemain, avant de la laisser rentrer à la maison. Elle devait retourner à l’hôpital dans trois semaines pour connaître les résultats des examens.»

 

En arrivant à son rendez-vous, Suzette croit qu’elle va être fixée sur son état de santé, mais tel n’est pas le cas. «Le docteur lui a demandé de revenir dans 15 jours car ses résultats n’étaient pas encore tombés. Le jour venu, mon épouse a appris que les résultats n’étaient toujours pas disponibles et qu’elle devait revenir dans trois semaines. Le docteur lui a cependant fait faire une échographie ultrason ce jour-là. Les résultats devaient tomber dans deux semaines», se souvient Jean.

 

Le jour-J, Suzette se rend une fois de plus à l’hôpital Jeetoo dans l’espoir d’avoir enfin ses résultats. Elle apprend avec stupeur que tel n’est pas le cas. «Son médecin traitant était très agacé. Il a personnellement demandé au personnel soignant de faire le nécessaire afin d’avoir les résultats de ma femme, en vain. Il a alors demandé à Suzette de revenir dans une semaine», relate Jean.

 

Une semaine plus tard, en se rendant à son énième rendez-vous, Suzette retrouve un «médecin excédé»en face d’elle. «Il était très en colère car les résultats de ma femme n’étaient toujours pas tombés. Il a cette fois appelé lui-même le laboratoire de Candos pour en connaître la raison. C’est alors qu’on lui a fait comprendre que mon épouse avait un cancer du sein de stade 2. Fou de rage, il a ensuite exigé que les résultats lui soient communiqués de manière officielle dans les plus brefs délais, avant de transférer le dossier de ma femme à l’unité de cancérologie (Radio Therapy Unit),à Candos. Elle avait rendez-vous dans une semaine».

 

Face à cette nouvelle, le couple se serre davantage les coudes pour faire front. «Nous sommes un couple sans enfant. Nous sommes très actifs dans notre quartier et au sein de notre paroisse. Nous avons beaucoup prié ensemble. Mon épouse était très angoissée. Il fallait lui remonter le moral à chaque fois alors qu’elle est une battante de nature. Il y avait aussi beaucoup de colère en elle», confie Jean.

 

Suzette ne baisse pas les bras. En se rendant à son rendez-vous à Candos une semaine plus tard, le 28 mars, elle a l’espoir que les résultats seront enfin là et qu’elle pourra commencer son traitement. Mais toujours rien. «Le cancérologue lui a dit qu’il ne pouvait pas se fier aux dires de son collègue de l’hôpital Jeetoo qui avait obtenu des résultats au téléphone. Il insistait pour avoir les conclusions des examens officiellement. Il a alors demandé à mon épouse de revenir dans une semaine.»

 

Une semaine plus tard, ses résultats ne sont toujours pas là. Elle a dû «fer letour lopital»ce jour-là pour obtenir une copie de ceux-ci. «Zot inn fer boul ar nu sa zour la. Finn bizin al plizier plas avan debark laboratwar kot mo fam inn bizin siplie kikenn. Li finn bien plore. Telma linn plore enn dimunn in sagrin li ek inn dir li ki rezilta la inn sorti depi lontan. Lerla mem li donn nu enn fotocopi. Mem zour li aprann ki rezilta la inn al lopital Pamplemousses olie Port-Louis», s’insurge Jean.

 

Complètement abasourdie, Suzette retourne à l’unité de cancérologie où elle reçoit un autre coup de massue. «Le cancérologue nous a dit que le temps jouait contre ma femme car il aurait fallu commencer un traitement juste après la biopsie. Le docteur nous a aussi dit qu’on n’allait pas pouvoir opérer ma femme et qu’il fallait commencer la chimiothérapie pour conserver toutes ses chances de guérir au plus vite de cette maladie. Le cancer de ma femme était déjà au stade 3.»

 

«Plus la même»

 

Peu après, début avril, Suzette fait sa première séance de chimiothérapie. Elle rentre chez elle après 12 jours. «Elle n’a plus été la même. Elle était complètement cassée. Tous les jours, elle implorait Dieu, elle demandait pourquoi il lui a fallu attendre tout ce temps-là pour avoir ses résultats. Elle avait commencé à maigrir. Ses cheveux tombaient à chaque coup de brosse. Elle bouillonnait de colère. Sa maladie s’était aggravée par la faute de quelqu’un, quelque part, qui a mal fait son travail. Elle vivait cela très mal.»

 

Mais pour Suzette, ce n’était pas la faute des médecins : «Mon épouse n’avait rien à reprocher aux médecins car ces derniers ont fait de leur mieux pour l’aider dans sa maladie.»Suzette, à la retraite depuis bientôt deux ans, après avoir travaillé comme attendantau collège La Confiance, continue malgré tout à y croire et à se battre.

 

Le jeudi 21 avril, elle reçoit Shamima Patel-Teeluck, présidente et fondatrice de l’association Breast Cancer Care chez elle, de même que Fatimah Cassam Sulliman, une psychothérapeute. Cette visite avait pour but de remonter le moral de Suzette. «Ces dames lui ont apporté une perruque. Elle avait retrouvé le sourire. Elles ont longuement parlé ce jour-là. Elles devaient revenir la voir le mardi 26 avril ; jour où elle devait commencer sa deuxième séance de chimiothérapie», souligne Jean.

 

Le lendemain, Suzette raconte sa mésaventure à Finlay Salesse. Deux jours plus tard, soit le dimanche 24 avril, la sexagénaire éprouve des difficultés à respirer au réveil. Jean conduit alors Suzette à l’hôpital de Candos dans la voiture d’un proche. Mais l’exercice s’avère compliqué car, en plus de ses problèmes respiratoires, Suzette souffre d’arthrose et peut difficilement voyager en voiture ou en autobus. Sur place, on lui fait un électrocardiogramme et une prise de sang. «Dokter la ti dir nu ki tou korek. Li ti donn mo fam bann kalman ek serom ek dir li rant lakaz alor ki nu ti panse li ti pu admet li», raconte Jean.

 

Le lendemain, en fin de matinée, l’état de santé de Suzette s’aggrave : «À son réveil, elle éprouvait toujours des difficultés à respirer. Nous avons fait venir notre médecin de famille qui nous a dit d’emmener Suzette à l’hôpital d’urgence. On a téléphoné au SAMU vers 11h30. Le personnel a refusé de transporter mon épouse arguant que son cas n’était pas urgent. Mon épouse a rendu l’âme à 12h10. Elle insistait pour avoir de l’oxygène. Le médecin privé a fait de son mieux. Mon épouse s’est bien battue pour rester en vie.»

 

Jean n’est plus le même homme depuis le décès de son épouse. Très calme de nature, cet ancien tourneur est révolté : «Mo fam inn viktim enn gro neglizans medikal. Se kinn arive la bien dir pu aksepte sa. Kuma ou krwar kapav blie sa. Minis Gayan ti vinn get mwa pu prezant so simpati. Li dir ki ena enn lanket pu konn la verite. Li osi dir ki personel laboratwar la surmene. Mo kapav konpran sa me fode pa ki dimun mor ankor akoz neglizans dimun sa departman la. Mo konpran ki servis la sante kado dan sa pei la me lavi dimun importan.»

 

Les conclusions de l’enquête interne ne l’intéressent pas. Il ne souhaite pas non plus entamer des poursuites contre le personnel de la santé car cela ne fera pas revenir son épouse. Jean souhaite toutefois que les conclusions de cette enquête évitent à d’autres personnes de connaître le même sort que Suzette.

 

Finlay Salesse et Shamima Patel-Teeluck ne lâchent pas prise

 

Radio Oneet l’association Breast Cancer Care (BCC) vont maintenir la pression. C’est ce que laissent entendre Finlay Salesse et Shamima Patel-Teeluck. «Les circonstances entourant le décès tragique de cette dame sont très révoltantes», déclare l’animateur et journaliste de la radio de la rue Brown-Séquard, qui ne compte pas lâcher prise après avoir fait éclater cette affaire sur ses ondes, le vendredi 22 avril. «On va continuer à en parler et à soutenir BCC dans ses actions car ce qui s’est passé avec Suzette Aza relève de l’incompétence et du laxisme dans nos hôpitaux.»

 

Shamima Patel-Teeluck, fondatrice et présidente de BBC, qui encadrait la malade décédée, explique qu’elle va également continuer à dénoncer les dysfonctionnements du système hospitalier : «Le décès tragique de Suzette Aza et les circonstances entourant sa mort sont inacceptables. Je prie pour que d’autres ne subissent pas le même sort. Cette dame ne méritait pas de mourir ainsi malgré sa maladie. Elle a été victime d’une grosse négligence. Les mots me manquent pour exprimer ma révolte.»

 

Les tribulations d’autres patients

 

Ils se prénomment Fadya, Désiré, Karl, Sabina et Dominique. Bouleversés par le poignant témoignage de Suzette Aza sur les ondes de Radio Onele vendredi 22 avril, ces personnes ont demandé à parler en direct pour faire part de leurs doléances quelques jours plus tard. Tous attendent leurs résultats pour leurs maladies respectives depuis longtemps. Fadya, par exemple, dit attendre depuis plus d’une année. Souffrant également d’un cancer du sein, elle dit vivre dans la crainte après avoir entendu Suzette. Interrogé à ce sujet, l’attaché de presse du ministre de la Santé explique qu’il ne peut répondre car une enquête interne sérieuse est en cours. Toutefois, il explique que son ministère n’a rien à voir avec les retards. Selon lui, ce serait un problème administratif dans la mesure où il y a un seul laboratoire pour tous les hôpitaux de l’île. La construction, en 2017, d’un nouveau bâtiment qui abritera un laboratoire avec des équipements dernier cri, diminuera, dit-il, cette longue attente.

 

Le ministère annonce une enquête

 

Une enquête interne très sérieuse est en cours pour situer les responsabilités après la mort de Suzette Aza. C’est ce qu’assure Jean-Claude Dedans, attaché de presse du ministre Gayan. Les conclusions de celles-ci seront probablement rendues publiques ce mardi 3 mai. Ce qui ne calme pas la colère de ceux qui ont connu Suzette. «C’est aberrant et inacceptable. Pour éviter d’autres Suzette, le ministère de la Santé doit procéder une fois pour toutes à l’e-filing des dossiers», martèle Shamina Patel-Teeluck.

 

Des funérailles très émouvantes

 

Suzette Aza a eu droit à un bel hommage lors de ses funérailles. Tous ceux qui ont pris la parole lors de la cérémonie ont fait ses éloges. À commencer par sa filleule Valérie qui perd son «guide et ange gardien». Elle était également sa confidente avec «ses paroles de sagesse». La jeune femme regrette ce départ subit et avoue que son deuil sera«très difficile». Pour Annabelle, membre du Renouveau charismatique, tout comme Suzette, la paroisse du Sacré-Cœur a perdu «un ange qui s’en est allé après avoir été libéré de sa maladie».Cité Barkly, dit-elle encore, a perdu «une grande dame» qui a toujours «su montrer aux autres le chemin du Seigneur.»

 

Suzette Aza, née Utile, est la fille de Marie Michelle Utile, une travailleuse sociale très connue à Beau-Bassin. Le centre social de son quartier, Cité Barkly, porte d’ailleurs le nom de celle-ci. Suzette était aussi très engagée dans le social. Elle a, entre autres, été animatrice avec son époux pour former les jeunes couples. Elle a également fait partie de plusieurs groupes et services de sa paroisse. Elle trouvait également du temps pour faire de l’écoute avec des familles à problèmes. Jacques, autre membre du Renouveau charismatique, a remercié Suzette pour ce qu’elle a fait :«Elle était une personne humble. Elle disait que sa maladie était un plan de Jésus qui a connu le chemin de croix. Elle était toujours forte et courageuse. Elle va beaucoup nous manquer.»