• Étoile d’Espérance : 26 ans d’engagement, de combat et d’espoir
  • Arrêté après l’agression d’un taximan : Iscoty Cledy Malbrook avoue cinq autres cas de vol
  • Golf : un tournoi caritatif au MGC
  • Le groupe PLL : il était une fois un tube nommé… «Maya L’Abeille»
  • Nilesh Mangrabala, 16 ans, septième victime de l’incendie du kanwar à Arsenal - Un rescapé : «Se enn insidan ki pou toultan grave dan nou leker»
  • Hippisme – Ouverture de la grande piste : les Sewdyal font bonne impression
  • Sept kendokas en formation à la Réunion
  • Plusieurs noyades et disparitions en mer : des familles entre chagrin et espoir
  • Mobilisation du 1er Mai : la dernière ligne droite avant le grand rendez-vous
  • Le PMSD secoué : démissions, rumeurs et confusion…

Elle est tuée par son mari après dix ans de violences conjugales : La bouleversante histoire d’Ashna Bhayraw, femme martyre

Le couple avait célébré ses 11 ans de mariage trois jours avant le drame.

Elle semblait partagée entre son amour pour son époux et son désir de quitter celui-ci parce qu’il lui faisait vivre un calvaire. D’un côté, Ashna Bhayraw clamait son amour pour Oomesh sur sa page Facebook et de l’autre, elle avait confié à son avocat qu’elle comptait bientôt entamer les procédures de divorce car elle n’en pouvait plus d’être violentée par son mari. Hélas, le mercredi 2 mai, cette habitante de Plaine-Verte, âgée de 28 ans, a succombé aux coups que lui a infligés son époux de 40 ans. Elle a reçu deux coups de couteau fatals à l’abdomen. Récit…

Il a suffi d’un regard, d’un sourire et d’une conversation pour que la magie opère. Anjani Devi Samy, plus connue comme Ashna, n’a que 17 ans lorsqu’elle fait la connaissance d’Oomesh Bhayraw – de 12 ans son aîné – dans l’autobus. Au fil de leurs rencontres, une chose devient évidente pour l’adolescente : c’est lui homme dont elle veut porter le nom. Bien vite, les deux tourtereaux se disent «oui», même si la mère et le frère de la jeune femme s’opposent catégoriquement à leur relation. Anjani Devi Samy devient Anjani Devi Bhayraw le 29 avril 2007.

 

Après plusieurs années de vie commune, les sentiments qu’éprouve la jeune femme de 28 ans pour son grand amour ne semblent pas s’être estompés. Comme tendent à le démontrer ces mots qu’elle utilise sur son compte Facebook, le dimanche 29 avril 2018, pour faire part à son mari de son amour inconditionnel. Ce jour-là, le couple célèbre ses 11 ans de mariage : «Happy wedding anniversary to us. Seems like it was yesterday. Eleven years with lots of ups and downs. Still together, yet more to come. Eleven years ago, there was only you and me. Today, we are not two but five. Thanks for the wonderful kids. Million thanks to God. Again, happy wedding anniversary.»

 

Des paroles remplis d’amour qui peuvent laisser croire qu’Ashna nage dans le bonheur. Mais qui ont perdu toute signification à peine trois jours plus tard, le mercredi 2 mai. Ce jour-là, Oomesh a, dans un accès de colère, tué sa femme. Et ce n’est que la terrible conclusion d’une histoire où la violence conjugale tenait une place de choix. Ashna était une femme battue depuis de nombreuses années. D’après les voisins du couple à la rue Inkerman, Plaine-Verte, les disputes entre l’homme de 40 ans et son épouse étaient incessantes. Toutefois, ils ne sont jamais intervenus par peur des représailles de la part du quadragénaire, réputé pour son caractère violent. «Il nous l’avait dit lui-même à plusieurs reprises : “Pas rant dan mo menaz.” Nous ne voulions pas avoir de problèmes», confie l’un d’eux. «D’autant qu’Ashna et lui finissaient toujours par se réconcilier. Nous nous disions qu’après tout, un couple sans dispute n’existe pas.»

 

Une énième dispute a éclaté, le mercredi fatidique, vers 9 heures, pour une histoire d’argent. Ashna – qui vendait des produits pour gagner sa vie après avoir longtemps travaillé comme Lab Assistant à la City Clinic – aurait reproché à son époux – sans emploi depuis quelque temps – de ne pas avoir utilisé l’argent qu’elle lui avait remis pour mettre de l’essence dans la moto qu’elle lui avait offerte, afin de pouvoir déposer leur fils de 9 ans à l’école. De peur que son époux s’en prenne à elle, Ashna, détentrice d’un Protection Order valide, a alerté la police mais à l’arrivée des policiers chez elle, elle a refusé de les suivre pour faire une déclaration officielle. Elle ne souhaitait pas que son époux – qui avait déjà un casier judiciaire chargé – soit de nouveau appréhendé.

 

«Protection Order»

 

Les policiers sont donc repartis sans arrêter le mari. Mais la dispute, elle, s’est poursuivie et a vite dégénéré. Ne supportant plus de se faire réprimander, Oomesh s’est emparé d’un couteau et a assené à sa femme deux coups à l’abdomen. L’horrible scène s’est déroulée en présence de leurs filles de 3 ans et de quatre mois. L’aîné étant, lui, à l’école à ce moment-là.

 

Ashna a finalement payé de sa vie l’amour qu’elle portait à son époux malgré les violences qu’il lui faisait subir. Femme martyre, femme meurtrie, elle a bien essayé de s’éloigner de lui, sans réel succès. Il y a deux ans, lasse de recevoir des coups, elle a retenu les services de l’avocat Deepak Rutnah en vue d’obtenir son premier Protection Order. À l’époque, la jeune femme avait quitté le toit conjugal et vivait chez sa mère à Montagne-Longue. Oomesh, de son côté, venait de se faire arrêter pour vol et avait été condamné à 18 mois d’emprisonnement. À sa sortie de prison, Oomesh a supplié son épouse de retourner à ses côtés, affirmant qu’il allait changer et qu’il arrêterait de la brutaliser. Et Ashna a, une fois de plus, cédé à ses avances. «Li ti tro kontan li», souligne un proche.

 

Quelque temps après, Ashna tombe enceinte de son troisième enfant. Elle pense alors qu’Oomesh va vraiment changer. Lorsque son Protection Order arrive à échéance en octobre 2017, elle ne fait rien pour le renouveler car elle est sur un petit nuage. Mais elle recommence à prendre des coups peu après. «Linn rekoumans fer so mons. Li ti pe bat li brit ankor», regrette quelqu’un de leur entourage. Cette fois, Ashna reste aux côtés de son mari parce qu’elle est enceinte. Elle accouche de son troisième enfant en décembre 2017. Le 28 mars 2018, la jeune femme jure un affidavit et réclame un nouveau Protection Order. Elle avance plusieurs points pour soutenir sa démarche.

 

Elle raconte qu’elle est régulièrement violentée par son époux depuis neuf ans et qu’elle doit supporter son addiction aux drogues synthétiques. Le matin du 15 mars 2018, dit-elle dans l’affidavit, elle a été tabassée une fois de plus. «Il lui avait dit qu’il allait lui faire du mal si elle allait le dénoncer à la police. Il a également interdit à Ashna d’aller à l’hôpital pour y recevoir des soins de peur qu’elle le dénonce», explique un proche. Pire : son époux l’avait humiliée ce matin-là en la laissant nue à l’extérieur de la maison pendant un moment.

 

«Monn fini ar li»

 

Dans le document, la jeune femme avance encore que son époux l’a insultée le 13 mars 2018 pour une histoire d’argent. Ashna avait remis de l’argent à Oomesh car il devait se rendre à l’hôpital pour changer la date de rendez-vous de leur benjamine qui avait trois mois à ce moment-là. Ce qu’il n’avait pas fait. Il avait dépensé l’argent en boissons alcoolisées et s’était montré très violent lorsque son épouse lui avait demandé des comptes. Ashna avait sollicité l’aide du Family Support Bureau ce jour-là. Peu après, un officier de ce bureau avait alerté la police. «La polis ti al warn Oomesh mem zour», se souvient un proche.

 

Le 3 avril, le tribunal de Port-Louis accorde à Ashna un Interim Protection Order. Le Senior District Magistrate, qui signe cet ordre, est catégorique : Oomesh doit bien se comporter et ne doit en aucun cas faire acte de violence physique ou verbale envers son épouse. Le 16 avril, l’homme est convoqué par le tribunal de Port-Louis à cet effet mais il ne se présente pas, ce qui valide automatiquement la requête de son épouse. Hélas, toutes ces démarches n’ont pas empêché Oomesh de s’en prendre à elle, allant jusqu’à lui ôter la vie.

 

Une fois son crime commis, Oomesh Bhayraw a verrouillé les portes de la maison et déposé ses enfants chez les voisins. «Il nous a demandé de veiller sur eux. Lorsque nous lui avons demandé où se trouvait son épouse, il a répondu : “Monn pik li, monn fini ar li.” Il semblait perturbé. Nous lui avons demandé ce qui s’était passé et il a ajouté : “Mo fer tro boukou koler ar li.” Puis, il est parti», racontent-ils. La panique, disent-ils, se lisait sur son visage. Ses voisins ont donc contacté Dhiraj Bhayraw, le frère du quadragénaire, et lui ont expliqué la situation. Et comme Ashna ne répondait pas à leurs appels et qu’ils ne pouvaient s’introduire dans la maison, ils ont aussi alerté la police.

 

Immense douleur

 

Lorsque les policiers ont forcé la porte, ils n’ont pu que constater l’horreur. Ashna était allongée sur le sol, dans sa chambre, dans une mare de sang. Entre-temps, Oomesh était appréhendé un peu plus loin, à moto. Il est passé aux aveux.

 

Pour la famille d’Ashna, la douleur est immense. Apprendre la nouvelle de la mort de sa fille unique, sa «poupée», a laissé Meeta Samy, la mère de la jeune femme, dans un état de choc. Sa peine d’avoir perdu sa fille dans des circonstances tragiques est décuplée quand elle pense que celle-ci a vécu un calvaire durant toutes ces années en tant que femme battue. Une terrible réalité dont Meeta n’était pas au courant. «Elle ne m’avait jamais dit qu’elle était une femme battue. Déjà que je n’approuvais pas qu’ils soient ensemble parce qu’Oomesh n’avait pas d’emploi fixe et lui laissait à peine de quoi nourrir les enfants lorsqu’il travaillait. Je voulais qu’elle le quitte pour cette raison mais elle finissait toujours par lui pardonner et se remettre avec lui. Cela avait créé beaucoup de tensions entre ma fille et moi», regrette-t-elle.

 

Meeta précise n’avoir jamais remarqué d’ecchymoses sur le corps de sa fille lorsque cette dernière lui rendait visite. «Je n’aurais jamais toléré qu’Oomesh lève la main sur Ashna. Elle serait venue vivre avec moi ; on se serait débrouillé avec ses trois enfants. Peut-être que c’était son destin de quitter ce monde à cet âge mais elle ne méritait pas de mourir de cette façon», assène cette maman avec douleur. Sa vie cauchemardesque n’est pas la seule chose que lui aurait cachée sa fille.

 

Il semblerait qu’Ashna voulait aussi divorcer mais n’en avait parlé à personne dans son entourage. Elle craignait pour sa vie et celle de ses enfants. Elle avait déjà abordé le sujet avec son homme de loi, Me Deepak Rutnah, qui lui avait demandé de lui remettre son acte de naissance et ceux de ses enfants ainsi que son acte de mariage pour enclencher la procédure. Un souhait qui n’a malheureusement pu se concrétiser car Ashna a perdu la vie de la manière la plus atroce qui soit.

 

Me Deepak Rutnah : «J’accuse le système de négligence»

 

L’homme de loi d’Ashna Bhayraw est très remonté contre les autorités. «Expliquez-moi pourquoi la police n’a jamais arrêté son époux pour violences domestiques ? J’accuse le système de négligence», s’insurge Deepak Rutnah. Il est d’avis que la jeune femme serait peut-être toujours en vie si le judiciaire et la police avaient bien fait leur travail : «Oumesh Bhayraw avait été convoqué en cour, le 16 avril, mais il ne s’est pas présenté. J’aimerais savoir pourquoi le magistrat n’a pas demandé à la police de procéder à son arrestation puisque ma cliente avait déjà obtenu un Interim Protection Order.»

 

Selon Deepak Rutnah, sa cliente a souligné à plusieurs reprises dans son affidavit qu’elle est régulièrement agressée verbalement et physiquement. Le tribunal de Port-Louis, dit-il, aurait dû faire appliquer la loi en fonction de la situation : «La section 7 (b) du Protection from Domestic Violence Act 1997 stipule que “the Court may order the Commissionner of Police to provide police protection to the aggrieved spouse until such time as the interim order is served on the respondent spouse or for the such time as the particular circumstances of the case may justify”.»

 

L’homme de loi d’Ashna Bhayraw se demande également pourquoi Oumesh Bhayraw n’a pas fait l’objet d’un Occupational Order : «La Police Family Protection Unit savait très bien que ma cliente était régulièrement violentée. Pourquoi n’a-t-elle pas fait obtenir à ma cliente un Occupational Order ? Son époux n’aurait pas dû être autorisé à dormir sous le même toit.»

 

Dhiraj, le frère d’Oomesh Bhayraw : «Il regrette son geste»

 

Il a eu l’occasion de rendre visite à son frère Oomesh, actuellement en détention policière. «Je lui ai parlé de ce qui s’est passé. Il regrette vraiment son geste. Il voulait même assister aux obsèques de son épouse pour lui rendre un dernier hommage», souligne Dhiraj Bhayraw. Toutefois, la permission ne lui a pas été accordée pour des raisons de sécurité. Dhiraj et sa mère s’y sont, eux, rendus. «Nous ne sommes pas responsables de ce qu’il a fait et avons toujours été en bons termes avec les proches d’Ashna.»

 

Selon Dhiraj Bhayraw, son frère lui a confié que la dispute a viré au drame lorsqu’Ashna a refusé de baisser le ton en s’adressant à Oomesh. «Linn dir mwa linn pik Ashna akoz li pann soumet. Il m’a raconté que lorsqu’ils se sont disputés, il a demandé à Ashna de s’en aller mais qu’elle ne l’a pas fait. Et vu qu’il s’énerve facilement et qu’Ashna n’aime pas se laisser faire, cela s’est mal terminé. Mais il n’avait pas le droit de la tuer.» Pour l’heure, Oomesh reste en détention policière le temps que l’enquête se poursuive. Une charge provisoire de meurtre a été logée contre lui.

 

Elodie Dalloo et Jean Marie Gangaram