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David Gaiqui, suspecté de vol, enchaîné nu au bureau de la CID de Curepipe | Sa famille : «Ces policiers doivent payer»

David Gaiqui lors de sa comparution en Cour.

Les Gaiqui sont animés par un sentiment de révolte et de colère après avoir appris que David, un des leurs, arrêté pour vol, a connu un traitement inhumain de la part de certains officiers de la CID de Curepipe.

Tout est parti d’une photo postée sur Facebook. Nous sommes le vendredi 26 janvier. Le cliché d’un homme nu, assis sur une chaise, les mains derrière le dos et les membres enchaînés, fait le buzz sur le réseau social. La légende qui accompagne la photo interpelle d’autant plus : «Naked and beaten up at Curepipe CID. That’s how my client is treated. Welcome to Mauritius of 2018, Pravind Jugnauth, dearest Prime Minister», écrit l’avocat Anoup Goodary.

 

L’homme sur la photo est David Gaiqui, 42 ans. Cet habitant de Pailles est soupçonné de faire partie d’un gang qui a commis plusieurs braquages : à la station-service d’Indian Oil, à Wootun, à la succursale de Steven Hills, à Chemin-Grenier, et à celle de Thomas Cook, à Terre-Rouge. Son frère Pascal, un habitant de Pointe-aux-Sables, âgé de 36 ans, est également suspecté. La police a procédé à huit autres arrestations.

 

Les frères Gaiqui sont alors arrêtés aux petites heures, le vendredi 26 janvier, lors d’une opération policière musclée à leur domicile respectif. Ils sont d’abord transportés dans les locaux de la Criminal Investigation Division de Terre-Rouge, avant d’être transférés dans ceux de Curepipe en début de soirée. Sur place, David et Pascal Gaiqui disent avoir passé un sale quart d’heure entre les mains des enquêteurs de cette unité.

 

Ayant eu vent de l’arrestation de leur époux respectif, Roselle et Maria retiennent les services de deux avocats, Mes Goodary et Toorabally. Si ce dernier n’a pas eu à se déplacer car son client a été autorisé à rentrer chez lui, tel n’a pas été le cas pour son confrère. «J’ai eu le choc de ma vie lorsque je suis arrivé au poste de police. Mon client était dans un sale état», soutient Me Anoup Goodary.

 

À ce moment-là, les limiers de la CID de Curepipe ne savent pas, dit-il, qu’il est monté pour prendre des nouvelles de son client. «J’en ai profité pour prendre une photo discrètement avant de me faire refouler. L’un des policiers m’a dit que mon client a déjà retenu les services d’un autre avocat. Or, il s’agissait de l’avocat du frère de mon client. Les policiers m’ont, par la suite, demandé de sortir. Ce n’est qu’une vingtaine de minutes plus tard que j’ai pu parler à mon client», raconte notre interlocuteur.

 

Brutalités policières

 

À ce moment-là, David Gaiqui porte des vêtements, selon son avocat. Mais l’habitant de Pailles a aussi des traces de coups au visage, dit-il, et ne peut dire le moindre mot. Il est alors entouré d’au moins sept policiers lors de cette première rencontre avec son avocat. «Mo espere mo retrouv mo klian vivan apre», aurait lancé l’avocat à l’attention des policiers en quittant les lieux.

 

Peu après, il accompagne le frère Pascal au poste de police de Line Barracks pour déposer une plainte pour brutalités policières. L’habitant de Pointe-aux-Sables allègue avoir reçu un violent coup de pied au ventre pendant son interrogatoire. Sa compagne Maria Pel, sa belle-sœur Roselle, la sœur de cette dernière, Elna, et la fille de David, Madison, sont aussi présentes. Elles veulent porter plainte car elles affirment avoir entendu David crier sous les coups des limiers de la CID de Curepipe. Sauf que ce soir-là, la police ne prend qu’un statement de Pascal.

 

Mais cette semaine, ce dernier et sa famille envisagent de se rendre au Central Criminal Investigation Department et à la Commission nationale des Droits de l’homme pour porter plainte officiellement. «Mo frer inn bien gagn bate. Li dir zot aret tape me zot kontigne mem», explique Pascal, la voix nouée par l’émotion. Ce dernier raconte qu’il dormait lorsqu’une dizaine de policiers armés et encagoulés ont fait irruption chez lui à 4 heures pour l’arrêter. Quinze minutes plus tard, les policiers l’ont conduit au poste de police de Terre-Rouge où il a retrouvé son frère.

 

«Rouer de coups»

 

«Ils nous ont dit qu’ils allaient nous interroger après le braquage de Steven Hills. Ils nous ont demandé où nous étions ce jour-là. Je leur ai dit que j’étais au travail. Je suis opérateur chez Gamma. Mon frère a également donné sa version. Les policiers nous ont ensuite dit qu’ils sont satisfaits de nos versions. Nous nous apprêtions à rentrer chez nous lorsque les policiers nous ont dit que nous devions encore attendre car la CID de Curepipe devait également nous interroger sur le braquage d’Indian Oil», explique Pascal.

 

Le handing over est fait à Moka, selon ses dires. Ce n’est qu’en quittant Terre-Rouge qu’ils sont menottés. Sur place, ils changent de véhicule et embarquent dans une Nissan. En arrivant à Curepipe, les deux frères sont placés dans différentes salles. L’horloge indique alors 18h10, selon Pascal.

 

Une femme vient le voir, poursuit-il, et se présente comme étant la responsable de la CID. «Elle m’a dit que je n’avais pas le choix et que je devais accepter de faire des aveux pour le braquage. Au cas contraire, on allait m’accuser dans une autre affaire de murder. Mais j’ai nié. Peu après, un des policiers m’a donné un violent coup de pied au ventre et je me suis plié en deux», confie Pascal.

 

Son frère David se trouve, dit-il, dans une pièce à côté. Il peut tout entendre. David prenait, dit-il, également des  coups : «On lui a d’abord demandé de se déshabiller. Ce qu’il a fait. Les policiers ont commencé à le rouer de coups après lui avoir demandé de retirer son boxer-short. Il n’arrêtait pas de hurler. Il leur disait de ne plus le frapper et qu’il n’avait rien fait mais cela ne faisait qu’aggraver son cas.»

 

Les policiers auraient mis fin à son supplice 15 minutes plus tard. «Mo panse zot inn aret bat li kan zot inn tann dir ki so avoka pe vinn get li. Mo fam, mo bel ser, ser mo bel ser ek tifi mo frer ousi inn tann mo frer pe gagn bate kan li ti dan biro CID. Bann la polis la pa ti kone ki zot ousi zot ti la anba lor filling a kote zot biro», affirme Pascal.

 

Roselle, l’épouse de David, abonde dans le même sens : «On venait de descendre de la voiture lorsque nous avons entendu mon époux crier. On l’entendait clairement supplier aux policiers d’arrêter de le frapper car il n’en pouvait plus. Mon beau-frère nous a dit qu’il a également entendu un bruit bizarre dans la pièce où se trouvait mon époux. Il lui semble que les policiers ont également utilisé un taser ou une matraque électrique pour le torturer après l’avoir aspergé d’eau.»

 

Claudette, la mère de David et de Pascal, garde difficilement son calme depuis qu’elle a vu la photo dénudée de son fils. «Mon fils David était enchaîné comme un esclave. Ce n’est pas parce que mes deux fils ont déjà commis un vol, chacun de leur côté, qu’on doit continuer à les persécuter de cette façon. Ces policiers doivent payer pour ce traitement inhumain infligé à mon fils.»

 

Modeline, une des cinq sœurs, explique que les deux hommes ont effectivement déjà eu des démêlés avec la police. Quinze ans de cela, son jeune frère Pascal avait été arrêté suite à des allégations suivant un hold up. Il avait retrouvé la liberté sous caution 13 mois plus tard. «So case ti reye la kour apre», nous dit Modeline. David a également fait de la prison pour vol. L’affaire remonte à 25 ans. Il avait été condamné à huit mois de prison.

 

«Ti enn erer zenes sa», précise sa sœur «mais il a déjà payé pour cela». Sauf que, selon la famille, les deux frères sont constamment harcelés par la police après chaque braquage, nous dit Roselle, l’épouse de David : «Kuma ena hold up, ou trouv la polis vinn lakaz pran mo mari ale kuma dir li enn mari gran voler. Mo 2 tifi tromatize ek sirtou tipti la ki ena zis 2 an.»

 

Sa belle-sœur Maria ne comprend pas pourquoi la police n’a pas conduit David en Cour la veille si les policiers avaient vraiment des preuves contre lui. Son compagnon Pascal a, pour sa part, été autorisé à rentrer à la maison après un mauvais moment à la CID de Curepipe, contrairement à son frère David. Ce dernier a comparu devant la Bail & Remand Court hier, pour vol.

 

La police a objecté à sa remise en liberté sous caution. Il a été reconduit en cellule policière. Il est prévu qu’il se rende au bureau de la Commission nationale des Droits de l’homme cette semaine pour porter plainte.

 


 

Neelkant Dulloo, nouvel avocat de David Gaiqui : «Rann enn servis, demisione»

 

L’homme de loi ne mâche pas ses mots. Celui qui remplace Anoup Goodary, après le retrait de ce dernier, fustige les policiers qui ont brutalisé son client : «Ce cas est pire que Guantanamo Bay.» Neelkant Dulloo ajoute : «Rama Valayden ek mwa nou finn defann bann lapolis. Inn fer zot gagn sindika. Ena sertin, enn group minim, ki ena sa mantalite la. Rann sosiete enn servis, demisione.» Le retrait d’Anoup Goodary fait suite à une rencontre avec la magistrate qui présidait la BRC hier après-midi. L’avocat est appelé à devenir un témoin potentiel dans cette affaire avec sa photo qui n’arrête pas de faire le buzz. Neelkant Dulloo ne son compte pas, pour sa part, rester les bras croisés. Il envisage d’écrire à la présidente de la République, le Premier ministre, le Directeur des poursuites publiques et la Commission nationale des Droits de l’Homme pour dénoncer ce cas de traitement inhumain. Il envisage également de faire une Private Prosecution contre les policiers mis en cause.

 


 

Huit autres suspects en détention

 

La Criminal Investigation Division est allée très vite en besogne après la série de braquages à travers le pays. Au total, neuf suspects ont été interpellés, dont David Gaiqui, après une série de vols chez Steven Hills à Chemin-Grenier, dans une station-service d’Indian Oil à Wootun et une succursale de Thomas Cook à Terre-Rouge. Le coffre emporté au bureau de Steven Hills a été retrouvé vide à Plaine-Sophie hier après-midi.

 

La dernière arrestation est celle de Patrice Rita. Ce maçon, habitant Cité Hibiscus à Centre-de-Flacq, est en détention depuis le vendredi 26 janvier. L’homme de 29 ans est fiché à la police comme récidiviste notoire. La veille, un autre récidiviste notoire a été arrêté. Il s’agit de Parvez Fatehmamode qui a pour sobriquet Le Pape. Cet habitant de Camp Yoloff est un spécialiste des braquages. Il a été arrêté en 2016 après le braquage de la SBM à la rue Royale, à Port-Louis.

 

Les limiers ont pu remonter aux suspects en visionnant les images des caméras de surveillance. Ils ont pu relever la plaque d’immatriculation du véhicule utilisé par les suspects sur l’une des prises. Arrêté, ce dernier n’a pas tardé à passer à table. Il s’agirait du récidiviste notoire Jairaz Aujayeb, un habitant de Mahébourg âgé de 38 ans. Le suspect a, par la suite, balancé les noms de ses complices. Deux autres suspects, également connus des services de polices, ont été arrêtés. Il s’agit de Jonathan Thomas, 31 ans, et de Cédric Larue, 23 ans. Ce dernier est passé aux aveux, selon la police. Lesdits aveux sont cependant contestés. Le suspect allègue que des éléments de la CID de Curepipe l’ont torturé pour le faire parler.

 


 

Maneesh Gobin, Attorney General :  «J’ai demandé au CP d’initier une enquête»

 

Choqué par la photo de David Gaiqui dénudé et enchaîné dans les locaux de la CID de Curepipe, il a d’abord eu une conversation téléphonique avec Anoup Goodary pour le rassurer. Il a ensuite parlé à Mario Nobin dans un but précis : «J’ai demandé au CP d’initier une enquête départementale. Elle a d’ailleurs déjà démarré. J’ai également parlé au DCP, responsable de la CID de Curepipe, pour savoir si les membres de cette unité vont rester en poste ou seront mutés pour ne pas pervertir l’enquête.»

 

Plusieurs officiers de cette unité ont été interrogés par les limiers du Central Criminal Investigation Department hier après-midi aux Casernes centrales avant d’être autorisés à rentrer chez eux. «J’ai été choqué par cette photo. Il faut nous dire pourquoi cet homme était nu et enchaîné. Je ne pense pas que c’était une façon d’agir. Je vais suivre cette enquête en laissant l’enquête policière suivre son cours dans un souci de transparence. Dommage que le personnel de la Commission nationale des Droits de l’homme est resté injoignable pour suivre cette affaire», s’insurge Maneesh Gobin.

 


 

L’ONG DIS-MOI : «C’est inacceptable»

 

«Si cette situation est avérée, c’est inacceptable. Car humilier un citoyen, peu importe le délit commis, est intolérable. La police de Maurice est un peu à la dérive depuis un certain temps», souligne Lindley Couronne, directeur de l’ONG DIS-MOI. Il fait aussi ressortir que Maurice a ratifié la convention contre la torture en 1992 et qu’il est clairement stipulé qu’aucune forme de violence physique, morale ou autre ne doit être utilisée pour extorquer une confession sur une personne. «Cette situation nous fait prendre conscience que la police de Maurice n’accepte pas la ratification de cette convention et que nous, au niveau de DIS-MOI, dès lundi, nous ferons le nécessaire», confie notre interlocuteur.

 

Textes : Jean Marie Gangaram et Valérie Dorasawmy