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David Bathfield, devenu tétraplégique après un accident | Son épouse Alexandra : «J’ai dû être le pilier pour mon époux et mes enfants»

Avant son accident, David Bathfield avait toujours été un amateur d’activités en plein air.

Après l’accident dont a été victime son époux en mai 2012, Alexandra Bathfield a dû rester forte pour celui-ci, devenu tétraplégique, et ses enfants. Aujourd’hui, après le jugement rendu dans cette affaire, qui a aussi fait un mort, elle se bat contre une sentence qu’elle juge trop clémente, et attend beaucoup de l’appel annoncé par le Directeur des poursuites publiques. L’épouse de David Bathfield revient sur ces dernières  années difficiles…

Avant, il travaillait, jardinait, pratiquait plusieurs activités sportives et bougeait tout le temps. Maintenant, il est cloué dans un lit presque tout le temps, sauf quand on le déplace en fauteuil roulant. David Bathfield est devenu tétraplégique – il ne peut bouger son corps à partir des épaules jusqu’aux orteils – depuis un malheureux accident le 10 mai 2012. Il faisait sa séance d’entraînement hebdomadaire avec d’autres cyclistes sur l’autoroute lorsqu’ils ont été renversés par un chauffard. David Bathfield est grièvement blessé, et un de ses accompagnateurs – Jérôme Tennant, 38 ans –, perd la vie. Un drame dont les deux familles s’efforcent de se relever au fil des années même si c’est très difficile.

 

Mais voilà que six ans plus tard, soit le 18 juillet, un nouveau coup de massue s’est abattu sur elles. Ce jour-là, la Cour a prononcé son verdict à l’égard du conducteur de la voiture impliquée, Dhiraj Takooree. Le soudeur de 53 ans a écopé d’un mois de prison et d’une amende de Rs 120 000 pour avoir bouleversé la vie de deux familles, alors qu’au moment du drame, il conduisait sans permis et sous influence d’alcool.

 

Un jugement beaucoup trop clément, selon Alexandra, l’épouse de David Bathfield. Et «inadmissible» pour les parents de Jérôme Tennant, comme nous le confiait son père, Alain, dans notre édition de la semaine dernière. C’est d’ailleurs Angélique Tennant, la mère du cycliste décédé dans l’accident, qui a mis Alexandra Bathfield au courant du verdict et de la sentence. Et les deux familles ont décidé de ne pas en rester là. Dans l’espoir que justice soit rendue aux personnes affectées directement ou indirectement par ce drame, Alexandra Bathfield a déposé, avec le soutien d’Alain Tennant, une motion pour que le Directeur des poursuites publiques (DPP) fasse appel. Demande qui a été agréée (voir hors-texte).

 

Alexandra Bathfield n’en démord pas. «Il faut qu’il y ait une justice. Je ne pense pas que la magistrate a choisi de donner une sentence légère au conducteur ; elle a probablement suivi certaines directives existant dans nos lois. Donc, je pense que ce sont nos lois qui doivent changer. Car après nous, d’autres personnes subiront sans doute le même sort.» Il ne faut pas, dit-elle, traiter cet accident tragique comme un acte «involontaire». «Si quelqu’un prend le volant sous influence d’alcool, on peut comprendre qu’il ne sache pas ce qu’il fait. Mais cet homme-là conduisait, en plus, sans permis et la personne qui se trouvait à côté de lui en était consciente. Et n’oublions pas qu’ils ont tous les deux quitté les lieux sans porter assistance aux blessés.»

 

«Injustice»

 

David Bathfield, lui, a trouvé un moyen de se changer les idées après avoir pris connaissance de ce jugement. «Quand la sentence est tombée la semaine dernière, il y avait deux parties de chasse le week-end suivant. Je m’y suis rendu en fauteuil pour admirer le paysage. Cela m’a fait oublier cette injustice pour un moment.» Dans l’espoir que le Cour suprême répare ce qu’il qualifie d’«injustice», David Bathfield, 64 ans, reste fort et continue le combat de sa vie, celui qu’il a commencé le 10 mai 2012. Un jour noir dont il n’a que très peu de souvenirs.

 

Il a beau essayer, il n’arrive toujours pas à se rappeler les circonstances dans lesquelles l’accident s’est produit ce jour-là. «Tout ce dont je me souviens, c’est qu’un proche m’a soulevé et placé dans une voiture pour me conduire à la Clinique Darné. Une fois sur place, je lui ai donné le numéro de téléphone de mon domicile avant de perdre connaissance», nous raconte-t-il, lorsque nous le rencontrons à son domicile, à Curepipe. Ce n’est qu’après six longues semaines qu’il est sorti du coma.

 

Six semaines durant lesquelles ses proches ont cru, à plusieurs reprises, qu’ils allaient le perdre car il avait eu la vertèbre cervicale fracturée. Des jours terribles à jamais gravés dans la mémoire d’Alexandra : «Avec une telle blessure, ou vous vivez, ou vous mourrez. À un moment, le médecin m’a même demandé de faire venir nos enfants car l’état de santé de David empirait et il leur donnait l’impression de ne pouvoir tenir plus de 24 heures.»

 

Mais les prières de cette famille ont été entendues car le blessé a fini par se réveiller le lendemain et allait beaucoup mieux. Un miracle que les Bathfield disent devoir à un jeune médecin indien. «Il est resté au chevet de mon époux lorsqu’il souffrait de fièvre, lui appliquant des compresses d’eau froide, entre autres. Il travaillait d’arrache-pied. Même moi, j’aurais été épuisée. Je prie tous les jours pour ce médecin. À son réveil, il a dit à David : You are not a patient anymore. God is beside you», confie Alexandra, très reconnaissante envers celui qui a «ressuscité» l’amour de sa vie.

 

Cependant, la famille Bathfield ignorait à ce moment-là que ce n’était que le début de longues années de combat. «Nous ne réalisions pas vraiment ce qui se passait. Mais un médecin m’avait dit qu’il se pourrait que David soit paralysé.» À cette nouvelle, Alexandra Bathfield ne cache pas avoir été tellement désemparée et triste pour son époux qu’elle s’est demandé si ce n’était pas mieux qu’il meure. «Il aimait le plein air. Il détestait la télévision et l’ordinateur et préférait le jardinage, les animaux, le sport. Il excellait d’ailleurs dans tout ce qu’il faisait. Je me demandais donc ce qu’il allait faire de sa vie et s’il n’était pas préférable qu’elle s’arrête là, vu qu’il aurait été trop dépendant des autres.»

 

Lorsque David Bathfield est sorti du coma, son fils lui a parlé de cette éventualité. «Il a dit à son père que les médecins ne savaient pas s’il retrouverait un jour l’usage de ses bras même s’il faisait de la rééducation. Il lui a demandé s’il voulait quand même vivre.» Battant dans l’âme, c’est sans hésiter et avec conviction qu’il a répondu : «Oui, je veux vivre.» À cette période, l’une des filles du couple était sur le point d’accoucher et l’autre passait son BAC. Malgré cela, David et Alexandra Bathfield ont dû s’envoler pour Pretoria, en Afrique du Sud, pour que le blessé puisse commencer ses séances de rééducation.

 

Réhabilitation

 

Le couple y a passé six mois. «J’étais dépassée par la situation. C’était loin d’être facile. Mais nous étions épaulés par nos amis qui, à tour de rôle, sont venus nous apporter leur soutien. La réhabilitation de David nous a tous les deux beaucoup aidés, notamment à en savoir plus sur les complications qui surviendraient : la tension instable, la peau fragile, etc.» Alexandra Bathfield n’oubliera jamais cette période très challenging : «J’ai fini par comprendre la citation disant que “sometimes, in order to be kind, you need to be cruel”. Lorsqu’on reste plusieurs semaines dans le coma, il est normal de souffrir de vertiges. Et au cours de ses exercices, David a dû rester assis pour travailler son endurance. Les infirmiers l’ont poussé à bout.»

 

Mais malgré des efforts surhumains pour trouver la force nécessaire pour pousser la chaise roulante, il n’y est jamais arrivé. «David s’est beaucoup battu. Nous pensions qu’il serait paralysé uniquement à partir de la taille, mais il l’était des épaules  aux orteils. Je me demandais constamment comment j’allais faire pour m’occuper de lui, le soulever. Il a été victime de cet accident à un âge plutôt avancé. Il aurait peut-être eu plus de chance s’il était plus jeune», confie Alexandra. Quoi qu’il en soit, leur quotidien a changé drastiquement.

 

L’un des plus gros changements a été d’accueillir tous les jours chez eux des personnes qui ne faisaient pas partie de leur famille et de leurs amis. «David est suivi par cinq aides-soignants. Nous avons des infirmiers à domicile tous les jours.» Le blessé, de son côté, se bat avec courage. «Il nous aide beaucoup car il ne se plaint jamais. Il aurait pu être amer, aigri, mais cela ne s’est jamais produit. Dès le départ, il est resté fort. Et sa réhabilitation l’a beaucoup aidé émotionnellement. Mais il pensait qu’il allait récupérer plus.»

 

«Accepter l’impensable»

 

Au fil du temps, Alexandra Bathfield a dû se résoudre à une chose : «Être le pilier pour mon époux et mes enfants.» D’un coté, elle passait beaucoup de nuits blanches aux côtés de son mari : «Au début, il souffrait beaucoup d’infections urinaires parce que les cathéters accumulent beaucoup les microbes. Et cela provoquait des accès de fièvre. Il délirait et, alors qu’il ne sentait pas son corps, disait souffrir de ses jambes». De l’autre côté, elle devait soutenir ses enfants. «Pour mes enfants, c’était très dur d’accepter de voir leur père dans cet état. Pour eux, leur père avait toujours été un héros. Et subitement, ils ont dû faire le deuil de la personne qu’il était auparavant.»

 

Avant le drame, David Bathfield et ses enfants passaient beaucoup de temps ensemble. «Ils allaient à la pêche avec lui, l’aidaient à nettoyer le bateau. Mes enfants l’admiraient, surtout parce qu’il était un grand sportif. À l’école, il participait toujours aux courses des parents et gagnait à chaque fois. Les enfants en étaient fiers. C’était important pour eux.» Heureusement, souligne cette maman de quatre enfants, «avec le temps, on s’habitue à tout». Et les enfants ont fini par accepter que leur père ne serait plus jamais le même.

 

Il n’irait plus dans ses jardins, il ne ferait plus les innombrables activités sportives qu’il adorait et resterait quasi-alité toute sa vie. David Bathfield adorait la nature et avait travaillé comme paysagiste pour une propriété sucrière dans le passé avant de créer sa propre entreprise. «Il était parfois au bureau à dessiner les plans des jardins pour certains clients mais, la plupart du temps, il était sur le terrain, préférant mettre la main à la pâte», se souvient Alexandra. Il passait aussi beaucoup de temps durant les week-ends, dans son jardin – chanceux d’avoir la main verte – ou sur le voilier qu’il s’était acheté.

 

Sinon, la semaine, après le travail, il allait à la gym ou faire du cyclisme. Il allait aussi très souvent courir avec ses amis car il participait à une course avec eux tous les ans. Cet amoureux de sport a aussi joué au football pour le Dodo Club et pour la sélection de Maurice lorsqu’il était plus jeune, dans les années 80. «Son équipe avait même été médaillée d’or aux Championnats d’Afrique. Lorsque nous venions de nous marier, il avait souvent les entraînements et s’absentait beaucoup, ce qui ne me faisait pas forcément plaisir», raconte Alexandra Bathfield.

 

La passion de son époux pour le sport était sans limite. «Il a toujours aimé la compétition et voulait tout le temps se surpasser. Il était doué pour tout. C’était le genre de personne à monter sur une planche à voile pour la première fois et à réussir. Pourtant, aujourd’hui, il vit avec beaucoup de contraintes mais ne se plaint pas. Je lui répète souvent que si cela m’était arrivé, il aurait eu beaucoup à faire.»

 

Le secours de la foi

 

Aujourd’hui, David Bathfield s’accroche à sa foi qui lui permet de se relever et de saisir la deuxième chance qui lui a été offerte. S’il ne peut bouger comme avant, il a tout de même un emploi du temps bien rodé pour occuper ses journées. Tous les matins, il se lève à 8 heures, prend son petit-déjeuner et fait sa toilette avec l’aide de ses aides-soignants. «C’est une tâche qui lui demande beaucoup d’efforts. Il doit toujours se reposer après», explique Alexandra. Il dort ensuite jusqu’à 11 heures. À ce moment-là, l’aide-soignant le place dans son fauteuil roulant et lui fait faire le tour de la maison, pendant que son épouse travaille. «Je vais dans la cour, dans ma serre, je vais voir mes oiseaux. Et à 12h30, je déjeune. Lorsqu’il ne fait pas trop froid, je vais à l’extérieur. Autrement, je reste dans ma chambre ou je regarde la télé», raconte le sexagénaire. Il prend ensuite le goûter à 16 heures et se repose jusqu’au dîner.

 

Même si ses activités ne sont en rien comparables à celles qu’il avait avant, il s’en accommode. «Durant toute ma vie, j’ai eu la chance de mon côté. Je ne regrette rien car j’ai tout fait à fond : le foot, la bicyclette, la culture physique, la guitare, la peinture. Le Bon Dieu m’a donné beaucoup de dons et je ne regrette rien. J’ai eu une belle vie. D’ailleurs, j’ai toujours une belle vie.» Son handicap ne l’empêche pas de connaître le bonheur : «Ces six années ont été dures mais avec la foi, j’ai vécu des moments de bonheur extraordinaires. J’ai autrefois connu la gloire, mais cela n’est rien comparé à celle que je connais aujourd’hui. Je suis croyant et plus le temps passe, plus je me tourne vers la religion. Cela me permet de tenir.»

 

Aussi fort qu’il puisse être émotionnellement, l’homme gardera toute sa vie une certaine souffrance intérieure. «Cela le rend triste de ne plus pouvoir aller sur son bateau. Ne croyez pas qu’il a complètement oublié tout ce qu’il faisait. De temps en temps, c’est vraiment dur pour lui. Lorsqu’il s’est vu pour la première fois dans un miroir après l’accident, cela l’a énormément choqué car il avait perdu beaucoup de poids alors qu’il avait toujours été très musclé», relate son épouse. Au bout de quelque temps, David Bathfield a fini par se faire une raison : «Tout ne serait plus pareil. J’étais paralysé, j’allais avoir un cathéter pour uriner toute ma vie. J’étais conscient que je ne pourrais plus rien faire comme avant.»

 

Aujourd’hui, il se regarde très peu dans le miroir pour éviter de se remémorer tout ce qu’il a perdu, mais il se porte bien, est bien entouré et remercie Dieu pour toutes ses grâces.

 


 

Le DPP contestera en appel

 

Il n’est pas resté insensible à la douleur des familles Bathfield et Tennant suite à la peine d’emprisonnement d’un mois et l’amende de Rs 120 000 qu’a écopé Dheeraj Takooree. Ce dernier a été trouvé coupable, le 18 juillet dernier, d’un accident de la route meurtrier, le 10 mai 2012. C’est pour cette raison que le Directeur des poursuites publiques, Satyajit Boolell a pris la décision de contester la sentence en appel. Beaucoup d’éléments devront être pris en considération, notamment qu’il s’agissait du premier délit du genre du conducteur de 53 ans. Toutefois, il avait pris le volant sans permis, sous influence d’alcool, et n’avait pas rapporté l’accident dans le délai autorisé par la loi. Cet accident, survenu à Nouvelle-France, a coûté la vie à Jérôme Tennant, 38 ans, qui était devenu père depuis à peine trois semaines, et fait plusieurs blessés dont un grave : David Bathfield, alors âgé de 59 ans, est, lui, tétraplégique aujourd’hui. Les officiers du bureau du DPP revoient actuellement le verdict prononcé par la magistrate avant de déposer l’appel au greffe de la Cour suprême.