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Chamarel, à «l’envert»

Une pause fraîcheur pour ces travailleuses de champ.

Ce village vous retourne, d'abord. Et vous donne une bouffée d'air pur et de nature qui redres lekor. À (re)découvrir ce dimanche dans le cadre d'une série d'activités…

Il y a des silences parsemés de mélodie. Des notes de souvenir prises dans les cordes de ses sentiments. Des bribes de rien qui font un tout. Prendre le temps de ressentir ce lieu, c'est écouter ce qui n'est pas dit. C'est mettre en éveil son supplément d'âme. Non loin de la fameuse église Sainte-Anne (qui, à l'occasion de la sainte Anne, est un rendez-vous festif incontournable) coule une rivière dont le chant emplit l'espace de cette fin de matinée tranquille dans le village de Chamarel. Là où, ce dimanche 8 avril, aura lieu une série d'activités (des attractions à prix réduits, entre autres). Là aussi où l'Association socioculturelle rastafari (ASCR) mène une bataille légale pour que soit conservé leur lieu de culte, le Nyabinghi Tabernacle, qui se trouve sur la propriété du groupe Case Noyale Ltd. La date limite avant destruction selon une décision de justice ? Le 18 mai. Mais José Rose et ses compagnons ne comptent pas baisser les bras (voir hors-texte).

 

Loin des considérations, Catherina Lintelligent prépare le coup de feu du déjeuner. À la tête de sa petite baz miam, le One Love Snack, elle a vu le village changer ces dernières années. L'ouverture de plusieurs restaurants et de quelques tables d'hôte, et de nouvelles «attractions» (Ebony Forest et le Curious Corner en plus de la Terre des Sept Couleurs) ont apporté des touristes et du boulot pour les habitants de ce petit coin perdu du Sud-ouest. Les routes, plus praticables, ont permis un trafic plus aisé de leur îlot de verdure au reste de l'île (et vice versa). Petit à petit, le village a fait son nid. Son snack aussi, dit-elle. Cette trentenaire originaire de Grand-Gaube a suivi son mari dans son village, après des années en cuisine dans le circuit hôtelier et après une formation à l'école hôtelière Sir Gaëtan Duval, et a affiné son palais et son savoir-faire à la gastronomie locale grâce aux conseils de sa belle-mère, la maestro des casseroles de l'incontournable Le Palais de Barbizon. 

 

Aujourd'hui c'est une cuisine qu'on trouve ailleurs qu'elle sert (boulettes, pains fourrés, entre autres). Mais pas que. Si vous avez de la chance, vous pouvez tomber, un jour où elle sort l'artillerie délicieuse : un minn bwi koson maron ou serf. Pour les plus aventureux, il y a aussi le minn bwi zako (oui, ça existe !). Pour découvrir les saveurs de Chamarel, il faut suivre la carte de vos envies (et, peut-être, éviter tous ces lieux trop touristiques). Du jus de canne frais, des gato koko aux parfums d'ici et une salade de pommes de terre mais avec du manioc ? Le charme de Chamarel, c'est aussi de découvrir un groupe de femmes, qui reviennent des champs, se lavant les bottes dans la rivière (elles bossent pour la Rhumerie de Chamarel). Des éclats de rire et de joie pour colorer ce tableau bucolique. Comme les rayons de soleil qui percent l'épais toit de feuilles, qui caressent la peau, alors qu'on s'aventure loin des routes habituelles. Et cette maison en tôle qui apparaît au détour d'un sentier à quelques mètres d'une splendide maison coloniale : cliché d'un coup de cœur.

 

Pieds nus

 

(Re)découvrir Chamarel, c'est s'approprier le temps. Se perdre sur les pas d'anciens esclaves qui avaient trouvé refuge dans ce coin imprenable de l'île. Tomber sur la «petite maison» des rastas. Le monument, offert par les paroissiens au curé Michel d'Arifat. De cocasses maisonnettes ; faites de bois et d'art. Caresser les arbres et entendre leurs contes silencieux. C'est aussi écouter les habitants de ce sanctuaire vert, heureux de leur vie ici. Heureux des silences, de la nature, de l'atmosphère paisible. André Besgue, laboureur, n'irait vivre ailleurs pour rien au monde. Ce village, il y est depi so nesans. Il en connaît tous les recoins et toutes les anfractuosités. Il ne regrette qu'une chose : que le Nyabinghi Tabernacle doive être détruit : «Ce n'est pas une maison, c'est un lieu de prière, il faut le respecter.» C’est pieds nus qu'il va à la boutique du coin. Et il explique : «Bizin aret pans beton. Bizin pans nu lanatir, nu bann larivier, nu bann pie.» Lui souhaite que son village ne rattrape pas le cours du temps : «Il y a eu des développements. Maintenant, ça suffit. Nous avons l'indispensable. Pa bizin plis.»

 

Plus, ce serait quoi ? Il y a une poste et un dispensaire. Un ATM, un supermarché, peut-être. «Il faut toujours aller à Rivière-Noire pour faire ses courses, tirer de l'argent ; ce n'est pas évident», explique Fabiana Aleeghany, maman de trois enfants, qui a quitté Vacoas pour Chamarel. Sinon, pour cet endroit, elle a un véritable coup de cœur. Prendre le temps de vivre et de profiter de la nature : le bonheur absolu. Ce n’est pas sa belle-sœur Prema qui dirait le contraire. Elle vend tous les jours des gato delwil dans un petit étal comme on en trouve partout à travers l'île. De la ville à Chamarel, son cœur a déjà penché pour ce village qui nourrit son être. Elle en rencontre des gens – des touristes, des Mauriciens, dit-elle –, s'est fait des connaissances, «bann dimunn bien akeyan» et imagine sa vie et l'avenir de son fils ici : «Il y a une école primaire. Et pour les collèges, il y en a dans la région.»

 

Ce qu'elle aime tout particulièrement, c'est le silence qui s'installe dès que le soleil se couche. Un calme où la mélodie des rêves peut s'exprimer.

 


 

José Rose : «Nous ne reculerons pas»

 

 

La tasse de thé est très chaude. Son parfum apaisant. Du thé noir, du sucre et de la citronnelle pour un breuvage magique. Dans une cabane de bric et de broc, placée dans les «bois» de Sable Noir, chaque gorgée réconforte. Et les paroles de José Rose, porte-parole de l'Association socioculturelle rastafari (ASCR), accompagnent ce moment hors du temps. Il raconte l’histoire de Chamarel, ce «vilaz maronaz». Parle du Triangle, bout de forêt à l'histoire riche, où se trouve le Nyabinghi Tabernacle qui, selon une décision de justice, devrait être détruit mi-mai. Néanmoins, l’ASCR a fait appel de ce jugement.

 

Ce lieu était utilisé pour leurs cultes par les esclaves qui se sont enfuis des plantations, devenant des «marrons», pour se réfugier à Chamarel : «Et cela depuis l'époque des Hollandais.» Après des siècles d'occupation, cet endroit sacré est appelé à disparaître : «Nous n'avons pas de papier. Mais le témoignage oral est une preuve. Cela l'a été dans le dossier de Maurice à l'Unesco pour Le Morne.» José Rose n'est pas contre le développement, non (à condition qu'il soit inclusif, bien sûr), mais il ne comprend pas pourquoi ce lieu de culte ne peut être préservé. S'insurgeant contre une discrimination dont les descendants d'esclaves feraient l'objet depuis toujours.

 

D’ailleurs, ses compagnons et lui lancent un message. Ils empêcheront la démolition du Tabernacle par tous les moyens : «Nous ne reculerons pas. Nous nous battrons. Ce n'est pas normal qu'on ne cesse de détruire les témoins de notre culture, nous les descendants d'esclaves.» Ils donnent plusieurs exemples ; des pierres taillées de la capitale, de ces monuments qui n'ont aucune mention pour ceux qui les ont construits, de ce développement qui a été possible grâce aux esclaves. De la mainmise des colons sur des terres habitées par des «marrons». Il parle de réparation, de dédommagement, de respect. De la voix des créoles, du besoin d'agir pour faire face aux fléaux qui touchent les jeunes.