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Au nom de la langue maternelle : Autour d’une «tab-ronn»

Enn zoli moman. Bann zoli koze. La Journée internationale de la langue maternelle, observée le 21 février, était le moment idéal pour se pencher sur la langue maternelle de la plupart des Mauriciens, selon les dernières statistiques. À cette occasion, la Creole Speaking Union (CSU), en collaboration avec l'Université de Maurice et le City Council de Port-Louis, a organisé une table ronde (moment de discussion et de réflexion) autour du thème suivant : 50 an lindepandans, 50 an deba ek aksion an faver rekonesans lang kreol : ki bilan, ki perspektiv ? Un peu aride, tout ça ? Effectivement. Si l'exercice n'est pas sorti du cadre intellectuel et pédagogique (même l'exposition, qui est actuellement à la mairie de Port-Louis, ne brille pas par son approche originale), il s'agissait néanmoins d’une excellente occasion de planter le décor et d'écouter de (belles) choses sérieuses sur le kreol morisien.

Plantons le décor...

 

Elle n’est pas ronde, la table. Plutôt rectangulaire. Placée presqu'au centre de la salle du conseil de la municipalité de Port-Louis, où se tient ce moment de discussion, aux alentours de 16h30. Le choix du lieu est symbolique : parler de kreol dans ces sphères où, il y a 50 ans, cette langue était minorée ; c'est un clin d'œil qui a de la gueule. D'ailleurs, cette langue l'est toujours, quelque part : la non-introduction au Parlement de cet idiome par les décideurs en est – un peu – la preuve. Pourtant, il s'agirait d'une décision de politique linguistique importante pour la reconnaissance de cette langue souvent péjorée, conséquence normale d'une naissance et d'une construction en contexte servile. D'une langue considérée comme un patois ou un dialecte ou, comme la plupart des créoles à base lexicale française, comme une forme pauvre du français (alors que de nombreux linguistes affirment depuis des années que les créoles sont des langues à part entière et ont une autonomie linguistique). Heureusement que depuis 50 ans, le kreol en a fait du chemin dans la bonne direction.

 

Décor d'époque et chaises en plastique. Lustre au plafond et lambris au mur. Bois précieux et cuir tendu pour certains sièges. Afin d’accueillir ses invités, lasal konsey s’est donc parée de contrastes. Ce qu'on retient de cette masse d'informations concernant le combat pour le kreol depuis 50 ans (à partir de 67, 68) ? Que le combat pour un zurnal televize en kreol – et en prime time – a fait partie de tout le cheminement (long et complexe !) pour que la langue soit standardisée et reconnue. Malgré les préjugés et les questions historiques et politiques, le kreol morisien a, plus récemment, été dotée d'une graphie standardisée et d'une grammaire. Ont suivi, la mise en place de l’Akademi du Kreol Morisien et l'entrée officielle de cette langue au primaire en 2012 comme matière optionnelle et au secondaire cette année. Pour les prochains mois, un projet d'envergure occupera Arnaud Carpooran, président de la CSU, et son équipe : la création d'un ouvrage universitaire autour de la langue kreol.

 

Paroles d’un lord-maire… MSM. La chemise orange est de rigueur. Pas d'autres couleurs disponibles, visiblement, dans le camaïeu de certains élus. Daniel Laurant n’aura toutefois pas un discours conventionnel. Pour le premier magistrat de la capitale, il est important que le kreol soit une langue apprise à l'école (pour l'instant, il ne s'agit que d'une matière optionnelle) dès le plus jeune âge et que, quand «profeser ek zelev itiliz li dan lekol li pli fasil pou resi». Un plaidoyer pour le kreol comme médium d'enseignement et langue de contrôle des connaissances (aujourd'hui, dans les manuels et pour les examens, c'est l'anglais et le français qui sont utilisés) ? Il semblerait bien que oui ! Pour faire son point, il cite une étude faite par l'UNESCO : «L'utilisation de la langue maternelle a une influence positive sur l'académique.»

 

Oh, un ministre ! Celui des Arts et de la culture le dit lui-même, il est un froder. Il a pop in pour dire quelques mots, précise-t-il. Entre autres koz koze, Prithvirajsing Roopun rappelle l’origine de la Journée internationale de la langue maternelle. Elle a été proclamée en 2000 par l'UNESCO. La date choisie n'est pas anodine ; il s'agit d'un hommage aux étudiants tués par la police à Dacca (aujourd'hui, la capitale du Bangladesh). Ils manifestaient pour que le bengali, qui est leur langue maternelle, soit reconnu comme deuxième langue nationale du Pakistan de l’époque. Le thème pour la commémoration de 2018 ? Préservation de la diversité linguistique dans le monde et promotion du multilinguisme en vue de réaliser les objectifs de développement durable.

 


 

Et écoutons des (belles) choses sérieuses

 

Les orateurs de cette table-ronde ont rappelé les apports de différents secteurs – sur le plan universitaire, social, médiatique, artistique… – au combat pour la reconnaissance du kreol.

 

Qui sont-ils ? Arnaud Carpooran, Dean de la faculté de Social Sciences and Humanities à l’Université de Maurice et président de la Creole Speaking Union (entre autres) – Nita Rughoonundun-Chellapermal, responsable de la Kreol Unit du MIE – Alain Ah Vee de Ledikasyon Pu Travayer (LPT) – Rabin Bhujun d’ION News – Bruno Raya, artiste.

 

Un bond dans le temps. Arnaud Carpooran le raconte : alors qu'il prépare son doctorat et participe à des colloques en France, il croise ceux qui parlent du kreol… mais ailleurs que dans leur île. À Maurice, dans le circuit universitaire, la langue est «taboue». Si les choses ont évolué, qu'il y a désormais des études en créole mauricien, la route est encore longue : «Il faut décoloniser nos esprits.»

 

Un travail «kas pake» de LPT. Depuis des décennies, Ledikasyon Pu Travayer enseigne à écrire et à lire aux adultes en utilisant le kreol. Au début, explique Alain Ah-Vee, c'est manuellement qu'il créait des manuels en kreol (selon la graphie du LPT) : «Nous n'avons pas les moyens de faire autrement.» L'organisation d'un «hearing» en 2009 a permis, explique-t-il, de mettre les mots sur la souffrance de nombreux Mauriciens d'avoir été privés de l'utilisation de leur langue maternelle dans plusieurs sphères de la vie locale, notamment à l'école.

 

Nita Rughoonundun-Chellapermal raconte ces écoles de langues vernaculaires. À comprendre par vernaculaire : (pour faire simple) langue d'un groupe. À opposer avec une langue véhiculaire ; celle utilisée pour communiquer plus largement. Il existait donc ces écoles avant que la dualité anglais-français ait raison d'elles.

 

Des radios privées et des publicitaires. Pour Rabin Bhujun d’ION News, un des événements ayant mené à la «libération» du kreol est l'avènement des radios privées. Pour lui, il serait nécessaire que les publicitaires et certaines publications optent pour la graphie standard : «Ce serait rendre service à cette langue.»

 

Le message «mari serye» de Bruno Raya. Le chanteur a enchaîné anecdote sur anecdote avec humour. Sa première rencontre avec Arnaud Carpooran : «Je croyais qu'il faisait partie de la police car il regardait nos affiches de concert que nous avions écrites à 70 % en langue créole.» Petite touche de fraîcheur dans cet univers sérieux (même si son message l'était lui aussi). Si vous ne savez pas ce que signifie 40 degre a lonb, fas A, fas B, ou ne comprenez pas une histoire de bondie dan legliz, c’est que vous ne parlez pas le ghetto kreol. Eh oui ! Il faut faire la distinction entre ce kreol et le queen kreol (un kreol un peu bourgeois). Bruno Raya a demandé la reconnaissance des artistes qui sont des militants culturels et ont aidé à promouvoir le kreol. Et a dénoncé l'hypocrisie entourant la langue kreol : «Les politiciens qui doivent décider si elle rentre au Parlement ou pas, mais qui ne le font pas, sont les premiers à l'utiliser pour s'adresser à la foule.»