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1er-Mai à Pomponette : Pourquoi j’ai fait tomber ce barrage de tôle

Quelques-unes des personnes interpellées : Kugan Parapen, Stefan Gua, Carina Gounden et Yan Hookoomsing.

Ils ont commis un acte de «désobéissance civile» et expliquent leurs motivations. Il est question d’apartheid, de lutte citoyenne, de Mahatma Gandhi et de Rosa Parks…

Les images sont puissantes. Et elles ont fait le tour des réseaux sociaux. Ce 1er-Mai, lors du rassemblement citoyen d’Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL) de Rezistans ek Alternativ (R&A) et de certains syndicats pour dénoncer «l’accaparement des plages», un vote a eu lieu. Et le résultat, vous le connaissez certainement déjà : il est décidé de kraz baraz.

 

Depuis quelques mois, les promoteurs sud-africains, Clear Ocean Hotel and Resorts Ltd, censés construire un hôtel sur une portion de la plage de Pomponette, y ont érigé un barrage en tôle (néanmoins, ils n’auraient pas respecté le time frame du lease agreement pour entreprendre les travaux, selon les détracteurs du projet). Dans le sillage de ce qu’Ashok Subron qualifie de «désobéissance civile et pacifique», sept personnes présentes ce 1er-Mai ont été interpellées par la police ; il s’agit du porte-parole de R&A, Ashok Subron, et de Vela Gounden, Carina Gounden, Stephan Gua, Yan Hookoomsing, Kugan Parapen et Jean-Yves Chavrimootoo.

 

Ils seraient accusés d’avoir damage public property. Le dossier a été soumis au Directeur des poursuites publiques. Pourquoi ces personnes ont été interpellées alors qu’ils étaient nombreux à avoir participé à la destruction du barrage ? C’est une des questions soulevées. Mais ce n’est pas la seule  : «Si le gouvernement met des gens comme nous en prison, ça en dira long sur leurs motivations», confie Yan Hookoomsing. Comme lui, les autres personnes concernées se concentrent sur la continuité de leur combat avec un appel au Premier ministre, Pravind Jugnauth : «C’est sa responsabilité. Il doit faire enlever le reste du barrage.» Et doit tenir sa promesse au peuple, explique notre interlocuteur, renvoyant au manifeste électoral de l’Alliance Lepep en 2014. On peut y lire : «Nous mettrons un terme à la braderie des Pas Géométriques et des terres de l’État et traduirons en justice ceux qui ont abusé du système». D’ailleurs, AKNL est à l’origine d’un hashtag qui circule actuellement sur les réseaux sociaux : #PravindTirBarazNetLorPomponette.

 

Pour Yan Hookoomsing, «Pravind Jugnauth ena boukou pou li reponn»: «The clock is ticking. Vous ne pouvez pas être un gouvernement lepep, sans vouloir écouter le peuple. Combien de lettres, combien de demandes de rendez-vous nous lui avons fait parvenir. Sans réponse !» C’est ce silence qui a poussé à la confrontation, explique Vela Gounden.

 

Les personnes interpellées (à l’exception de Jean-Yves Chavrimootoo qui n’est pas au pays) se confient sur leur motivation à faire tomber ce barrage en tôle…

 

◗ Vela Gounden : «Pas d’autre choix»

 

«Ça fait presque deux ans que nous tentons de faire entendre raison aux autorités. Ça fait longtemps que je suis dans le social. J’ai milité pour beaucoup de causes. Et chaque combat commence toujours tranquillement. Mais, à un moment donné, on n’a d’autre choix que de passer à la confrontation quand on n’est pas écouté. Nous assumons pleinement ce que nous avons fait. J’ai fait ma propre analyse. Quand j’étais encore à l’université, où j’étudiais l’histoire, le conférencier disait qu’il fallait faire parler les pierres. Aujourd’hui, il faut faire parler la tôle. Les autorités devraient comprendre qu’il n’y a pas que le sable, la plage ou la mer. Il y aussi tout un ras-le-bol d’une population en colère.»

 

◗ Yan Hookoomsing : «Nous avons protect and preserve public property»

 

«Ce que nous avons fait, c’est quelque chose que n’importe quel Mauricien aurait fait. D’ailleurs, c’était une action de masse, tous ceux qui étaient présents étaient d’accord. C’est inacceptable de rass bann laplaz  ar nou pour faire des hôtels. Il n’y a presque plus de plages publiques à Maurice. La police nous accuse d’avoir destroy public property. Pourtant, ce que nous avons fait c’est de protect and preserve public property des dommages causés par ces Sud-Africains et des Mauriciens traîtres. Il faut comprendre une chose, ce gouvernement est en train de trahir la population alors qu’il est supposé être à son service ! »

 

◗ Carina Gounden : «Nous reprenons ce qui est à nous !»

 

«Tout simplement parce que ce barrage est illégal et que c’est une honte. Ces feuilles de tôle n’avaient rien à faire sur une plage publique, alors nous avons pris une décision collective. C’était un acte de défiance et non un acte de violence. Nous reprenons ce qui est à nous ! Ce geste parle d’une lutte qui ne concerne pas que l’accaparement des plages. C’est un combat qui parle aussi du fait que nos dirigeants ne nous répondent plus. Plus de deux ans que nous luttons pour faire entendre notre voix ; et c’est silence-radio ! On nous ignore. Les citoyens ont commencé quelque chose le 1er-Mai et nous renvoyons le gouvernement Lepep face à sa promesse électorale. Que Pravind Jugnauth continue le mouvement, qu’il libère les plages.»

 

◗ Ashok Subron : «Cette clôture contribuait à l’exclusion des Mauriciens»

 

«C’était un geste pour défendre un public property. Et pas pour le damage ! Qui a endommagé cette plage ? L’État et les capitalistes ! Cette clôture privatisait le bien commun et contribuait à l’exclusion des Mauriciens. Un petit parfum d’apartheid, non ? Nous voulons libérer cette plage pour les enfants d’aujourd’hui et de demain. L’action de kraz baraz était une action de désobéissance civile pacifique. Pas un acte de vandalisme. Nous assumons notre acte. Nous avons agi comme Mahatma Gandhi ou encore Rosa Parks nous l’ont enseigné. Il y a eu un vote citoyen, un vote pour la désobéissance sans violence. Nous avons représenté la voix de milliers et de milliers de Mauriciens ki pe touffe ek santi zot lokater dan zot pei.»

 

◗ Stephan Gua : «Pour l’avancement de l’humanité»

 

«Parce que j’ai eu envie de participer à cet élan collectif de stopper la politique de braderie des plages et des terres. Pour que les générations futures ne disent pas que nous n’avons rien tenté, que nous n’avons pas réagi. Dans la vie, il faut pouvoir prendre des décisions. La loi définit la société dans laquelle nous voulons vivre. Mais il y a des gens qui rédigent des textes de loi et qui ne tiennent pas compte de la volonté des Mauriciens. Le processus démocratique a été confisqué. Nous sommes interpellés pour damaging property, selon la loi, alors que les Mauriciens en ont marre de cette braderie. Alors comme Rosa Parks aux États-Unis et l’ANC en Afrique du Sud, nous avons décidé de bouger pour l’avancement de l’humanité.»

 

◗ Kugan Parapen : «Rappelez-vous, l’esclavagisme, l’apartheid, l’holocauste…»

 

«Mais ce barrage de tôle représente une injustice ! Je crois que les gens ne doivent pas avoir peur de prendre des actions nécessaires. Même s’il s’agit là d’une entrave à la justice, il ne s’agit pas nécessairement d’une entrave au concept du bien. Rappelez-vous que l’esclavagisme, l’apartheid, l’holocauste étaient, plus ou moins, approuvés par le système. Je pense que la question des plages publiques dépasse le cadre légal. C’est une décision éminemment politique. Nous ne sommes pas d’accord que les plages et l’espace public continuent à diminuer et continuent à être bradés. Nous sommes persuadés, preuve à l’appui, que la construction des hôtels sur les plages est un marché saturé. Les constructions futures empiètent sur le bien-être de la société et du peuple. Continuer cette tendance n’est pas dans l’intérêt de notre société et de notre qualité de vie.»

 

Un succès «populaire»

 

Plus de 100 000 vues pour la vidéo. Sur les réseaux sociaux, la vidéo montrant la démolition du barrage en tôle a fait le buzz sur le Web cette semaine. Derrière leurs écrans, les Mauriciens, d’ici et d’ailleurs, ont soutenu le mouvement de ceux présents à Pomponette, le 1er mai. Pour apporter leur soutien, suite à l’interpellation de Yan Hookoomsing et ses compagnons d’armes, nombreux sont les facebookeurs à avoir publié le hashtag#MonnKrazBarazPouLiberPomponette.

 

Deux actions cette semaine

 

Le combat ne s’arrête pas là. «Qu’il y ait une enquête de la police, ça ne nous freine pas», confie Yan Hookoomsing. Alors dans cette lutte citoyenne, il ne faut négliger aucun front et aucun soutien. C’est pour ça que le porte-parole d’AKNL fait un appel aux Mauriciens pour soutenir le mouvement : «Nombreux sont ceux qui demandent ce qu’ils peuvent faire pour aider : nous soutenir et participer aux deux actions que nous prenons dans les jours à venir. Il suffit de suivre la page Facebook d’AKNL pour avoir tous les derniers détails.» Deux initiatives seront prises, dans les prochains jours.

 

La première est une action locale. Il s’agit de signer et de partager la Déclaration de Pomponette, document qui parle de la vision durable des Mauriciens qui demandent le respect. Yan Hookoomsing explique : «La plage de Pomponette est le symbole de tout cet accaparement. Alors nous avons mis notre vision par écrit.» Le développement hôtelier n’est pas le seul modèle viable : «Pourtant, il existe un vrai développement. À La Gaulette, par exemple, il n’y a pas d’hôtel. Mais chacun fait son business et les gens se débrouillent. La même chose peut se faire à Riambel, Chemin-Grenier ou Surinam, par exemple, si on donne les moyens au gens.»

 

La seconde est une action internationale : «Nous lançons une campagne contre le groupe Marriott. Les promoteurs sud-africains veulent faire un hôtel Sheraton, une enseigne de ce groupe, à Pomponette.» Le modus operandi : adresser une lettre directement au CEO du groupe international pour lui demander si son groupe – qui prône des valeurs de respect de l’environnement et des populations – veut «être complice d’un vol, de beach grabbing». Une autre correspondance sera adressée aux tour-opérateurs de France, d’Angleterre et de l’Afrique du Sud : «Nous leur demanderons de ne pas cautionner les hôtels du groupe Marriott.»